Nous continuons notre découverte des pêches régionales et, plus particulièrement, des diverses pêches sous la glace, grâce à notre collaboratrice, Julie D’Amour Léger. Cette fois, c’est à la pêche aux éperlans qu’elle nous emmène, les éplans, comme disait Samuel de Champlain et comme on le dit encore aujourd’hui en Acadie.

Une tradition en danger d’extinction

L’île de Pokesudie, à l’est de Caraquet, a toujours été reconnue pour ses éperlans.  À une certaine époque, l’île comptait une quinzaine de pêcheurs qui possédaient chacun de douze à quinze filets.

Sur la baie de Saint-Simon, qui rejoint la baie de Shippagan entre Pokesudie et la Pointe-Brûlée, on pouvait autrefois apercevoir des centaines de piquets servant à retenir les filets un peu partout sur la glace.

Ce n’est plus le cas.  Cette année, Disma Plourde et Yves Doiron sont les seuls à pratiquer cette pêche à Pokesudie et ils n’ont étendu que six filets.

L’espèce

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L’éperlan peut mesurer jusqu’à 25 cm et sa durée de vie est d’environ 5 ans.  La pêche commence dès que la glace est assez solide pour installer les trappes, habituellement vers la fin du mois de décembre, et se poursuit jusqu’au 15 mars.

En janvier 2021, la glace a mis du temps à se former et les phoques ont envahi la côte de Pokesudie
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On a déjà pêché l’éperlan bien avant Noël dans notre région mais, avec le réchauffement climatique, la glace se forme de plus en plus tard et ce sont les phoques qui s’installent non loin des côtes qui profitent de la ressource.

L’année dernière, Disma a seulement installé ses filets en février, mais cette année, le froid est au rendez-vous et la glace est épaisse et sécuritaire.

La pêche à l’éperlan

Yves et Disma tirent le filet hors de l’eauScreen Shot 2022-03-07 at 10.13.22 AM

Disma et Yves lèvent leurs filets à tous les quatre ou cinq jours, de la fin de la marée montante au début de la marée descendante.  Ils disposent d’environ trois heures pour pêcher sans trop combattre la force du courant qui rend difficile la levée des filets.

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Ils utilisent des trappes doubles (double box nets) qui sont composées de deux filets adjacents. La procédure de pêche est la suivante: les cordes d’arrimage fixées à deux piquets à une extrémité du filet sont relâchées; ensuite, cette portion du filet est progressivement hissée sur la glace à travers le trou de pêche.  Au fur et à mesure que le filet est tiré, les poissons sont « secoués » du piège vers une poche à même le filet.  On soulève cette poche, qui peut peser jusqu’à 250lb, on en détache le fond et l’éperlan est déversé dans des bacs.

On rattache la poche et on tire les cordes d’arrimage, ce qui ramène le filet en position sous la glace.  Les cordes d’arrimage sont ensuite fixées à nouveau à leurs piquets.

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Disma décroche une corde d’arrimage

Dans un deuxième temps, l’autre partie du filet est pêchée de la même manière.  Comme le dit si bien Disma « si tu ne sais pas sur quelle corde tirer, ça peut devenir compliqué, c’te pêche icitte ».

Disma est un vrai, il a pêché la crevette pendant 17 ans, le homard, les pétoncles, le maquereau et j’en passe et des meilleurs.  Les pêches n’ont plus beaucoup de secrets pour lui.

Tout un travail!

Disma pêche l’éperlan depuis une quarantaine d’année, il sait bien sûr quelle corde tirer!  Une bonne saison, il peut retirer environ 12 000 livres d’éperlans des eaux glacées de la baie.

Disma secoue le filet pour envoyer les éperlans dans la poche
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Cela représente beaucoup de travail. Il faut tracer un chemin sur la glace pour pouvoir circuler en camion ou en VTT, préparer les trous, installer les six filets, pêcher, étendre les éperlans pour les faire geler, préparer des sacs de 5 livres (2,3kg) pour la vente, etc. Fait à noter, l’éperlan se vend toujours congelé, il est meilleur ainsi.

les filets sont mis à sécher après la saison de pêche
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À la fin de la saison, il faut retirer l’équipement de l’eau, faire sécher et réparer les filets et entreposer le tout jusqu’au prochain hiver.  Et je ne parle pas du froid, de la neige, et du vent!  Est-ce parce que ce travail est si rigoureux qu’il n’y a pratiquement plus de relève?

Nigoguer?

Il existe d’autres façons de pêcher l’éperlan, c’est un loisir très prisé par ici. Dès que la glace est prise, on voit des cabanes à nigoguer apparaître un peu partout. On y pêche à la nigogue (harpon) ou à la ligne. Il y a aussi des tentes, de plus en plus populaires, conçues exprès pour la pêche sur glace.

Vue sur les cabanes et une tente, Village des Poirier
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Et il y a les adeptes du plein air: pas de cabane, pas de tente, seulement un trou dans la glace et une chaudière virée à l’envers en guise de siège, pour la pêche à la ligne seulement.  Ces pêcheurs ont droit à 60 éperlans par jour, de quoi faire un bon mess d’éplans pour six personnes.

Pêcheur en toutes saisons

Cette pêche récréative ne peut se comparer à la pêche commerciale.  Pour Disma, pêcher l’éperlan est une passion, un mode de vie.  Il aime se retrouver au milieu de la baie, dans le silence et la blancheur de l’hiver.  Même si le travail est rude, il en retire une grande satisfaction.

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Un bon 250lb d’éperlans!

Dès qu’on remise les bateaux pour l’hiver, Disma se prépare pour la pêche blanche et ses délicieux petits poissons scintillants qui font le bonheur de bien des gens.


Julie D’Amour-Léger

Julie D’Amour-Léger est née à Caraquet, au Nouveau-Brunswick. La photographie a toujours fait partie de sa vie, elle y a consacré ses études et en a fait sa profession, principalement dans le milieu du cinéma et de la télévision. Après avoir vécu vingt-deux ans à Montréal, elle revient vivre en Acadie en 2007. Parallèlement à ses activités professionnelles, Julie D’Amour-Léger poursuit différents projets photographiques en lien avec son environnement immédiat. Récipiendaire d’une bourse du Conseil des arts et du Ministère du Tourisme, Patrimoine et Culture du Nouveau-Brunswick pour son projet Le monde des pêches, elle est actuellement en résidence artistique sur différents bateaux de pêches, et ce jusqu’à l’automne. Elle veut ainsi rendre hommage aux travailleurs de la mer et témoigner de ce qui fait battre le cœur des régions maritimes. L’Heure de l’Est vous invite à suivre Julie dans cette aventure fascinante et à découvrir Le monde des pêches à travers son regard.