55 ans après la fin de la chasse au béluga, des experts craignent un nouveau déclin

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En 1979, le gouvernement du Canada interdisait la chasse au béluga dans le Saint-Laurent, une pratique tenue responsable du déclin de l’espèce dans l’estuaire. Un demi-siècle plus tard, la population stagne et les experts craignent même de la voir diminuer dans les années à venir.

Quand la chasse a été arrêtée, en enlevant la cause de mortalité principale, on aurait dû s’attendre à une augmentation de la population, mais on n’a jamais eu ce rebond-là, souligne Stéphane Lair, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et directeur du Centre québécois sur la santé des animaux sauvages.

La première carcasse de béluga de 2024 a été retrouvée à Saint-Ulric le 24 mars dernier.

L’an dernier, 17 carcasses ont été récupérées sur les rives du Saint-Laurent, un nombre comparable à ce qui est observé année après année depuis les débuts, en 1983, du programme de récupération de carcasses de bélugas financé par Pêches et Océans Canada.

Mais ce qui a changé, en 40 ans, ce sont les causes de mortalité chez les représentants de l’espèce.

Deux personnes mesurent une carcasse de béluga.

Une équipe du Réseau québécois d’urgence pour les mammifères marins lors de la récupération de la carcasse d’une femelle sur les berges de Matane en mai 2023. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA

Si bon nombre de baleines étudiées dans le cadre du programme étaient auparavant atteintes de cancers, on ne rapporte aucun cas depuis de nombreuses années.

On note toutefois, depuis environ 15 ans, une forte mortalité des femelles lors de l’accouchement et une diminution de la survie chez les nouveau-nés.

Les veaux qui sont morts en 2010 auraient dû avoir 10, 12 ans en 2020, 2021 et 2022. Ça, c’est l’âge auquel ils commencent à donner naissance, s’inquiète Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM).

Pour nous, c’est comme une épée de Damoclès cette mortalité-là.

Une citation de Robert Michaud, directeur du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins

Est-ce que ça va avoir pris une hypothèque sur le rétablissement de la population? C’est ce qu’on craint et ce qu’on va suivre très attentivement dans les prochaines années, dit M. Michaud.

Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM) en 2017, sur un bateau.

Robert Michaud étudie les mammifères marins du Saint-Laurent depuis les années 1980. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / JEAN-FRANÇOIS BOUTHILLETTE

Le directeur du GREMM indique que certaines données suggèrent d’ailleurs un déclin de la population depuis 2020. Mais les données ne sont pas solides, alors on ne se fie pas à ça pour le moment, précise-t-il. On va attendre les prochaines années pour confirmer, mais il y a des indications qui sont cohérentes avec la mortalité soutenue des femelles en mise bas et des jeunes à la naissance.

Une situation inexpliquée

Les scientifiques étudient certaines pistes pour expliquer cette part importante de femelles et de veaux parmi les carcasses retrouvées sur les rives du Saint-Laurent dans les dernières années. Ces pistes ne sont, pour l’instant, que des hypothèses.

On essaie de trouver un coupable, mais la réponse, c’est probablement qu’il y a une combinaison de facteurs, croit Stéphane Lair, qui dirige l’équipe chargée d’effectuer les nécropsies sur les bélugas transportés au Centre québécois sur la santé des animaux sauvages dans le cadre du programme de récupération des carcasses.

Selon les experts, les changements climatiques et l’arrivée de nouveaux contaminants dans l’environnement des bélugas pourraient être en cause.

M. Lair rappelle que les bélugas sont des baleines qui affectionnent l’eau froide et la glace. Ce qu’on voit dans le golfe et l’estuaire, ce sont des réchauffements assez importants. On peut se poser la question : qu’est-ce que ça a comme impact sur la population de cette baleine-là?, demande le vétérinaire. Il rappelle que des changements en ce qui concerne l’abondance de certaines espèces de poissons dont se nourrit le béluga sont déjà bien documentés.

Des harengs pêchés.

La population de harengs du Saint-Laurent peine à se rétablir, principalement en raison du réchauffement de l’eau, selon les biologistes de Pêches et Océans. (Photo d’archives) PHOTO : OFFERT PAR : FISHERMEN HELPING KIDS WITH CANCER

Est-ce que c’est possible que la diminution de certains grands stocks de poissons dont se nourrissaient les bélugas, comme les harengs par exemple, ait eu un effet sur la santé des femelles?, poursuit Robert Michaud.

Si une mère est en moins bon état nutritionnel, c’est sûr qu’elle va avoir moins de lait et si elle a moins de lait, le veau a plus de chances de mourir, ajoute Stéphane Lair.

Le professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal précise toutefois que le béluga possède au moins un avantage : C’est une espèce très généraliste : elle peut s’adapter, relativise-t-il. Si elle a moins de telles proies, elle peut peut-être rebondir sur d’autres espèces qui sont plus présentes qu’avant. Ceci étant dit, il y a toujours un risque.

La présence de nouveaux contaminants dans le Saint-Laurent pourrait aussi expliquer les problèmes des femelles et des veaux liés à la mise bas.

Une maman bélugas et son petit.

L’allaitement des baleineaux dure généralement entre 6 et 24 mois. (Photo d’archives) PHOTO : ASSOCIATED PRESS

Les chercheurs croient que les polybromodiphényléthers (PBDE), une catégorie de substances utilisée pour diminuer l’inflammabilité de certains objets, auraient peut-être un rôle à jouer.

La fabrication de ces retardateurs de flamme est interdite au Canada depuis 2008, mais on en trouve toujours dans certains produits provenant d’autres pays, et dans l’environnement.

Les PBDE sont reconnus pour avoir un effet sur la glande thyroïde chez les humains. Si vous avez une glande thyroïde qui ne fonctionne pas bien, vos risques d’avoir des complications obstétricales sont augmentés, explique Stéphane Lair.

Les études sur la mortalité périnatale des bélugas se poursuivent pour tenter de faire la lumière sur cette situation.

La fin des cancers

Malgré les préoccupations des scientifiques, le programme de récupération des carcasses est aussi source d’espoir. Lorsqu’il a été mis en place, il y a quatre décennies, le béluga du Saint-Laurent était reconnu comme une des populations de mammifères marins les plus contaminés au monde, indique le directeur du Centre québécois sur la santé des animaux sauvages.

Le nombre de spécimens atteints de cancers était plutôt inhabituel, selon le vétérinaire. Les cancers, c’est assez fréquent chez l’homme et chez les animaux domestiques, mais c’est très rare chez les animaux sauvages, souligne-t-il.

Deux bateaux voguent dans le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent.

Le trafic maritime commercial et de loisir provoque un stress chez les bélugas, mais n’explique pas, selon les scientifiques, les changements dans les causes de mortalité observées au cours des 40 dernières années. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / ALEXANDRE SHIELDS

Rapidement, des spécialistes ont émis l’hypothèse que la contamination des baleines par les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) pourrait être en cause.

Pendant une grande partie du 20e siècle, ces molécules cancérigènes produites par la combustion incomplète de certains matériaux étaient émises en quantité importante par les alumineries installées le long de la rivière Saguenay, qui se jette dans le Saint-Laurent.

30, les années40, il n’y avait aucun traitement des rejets. Tous les contaminants, comme les HAP, allaient directement dans la rivière","text":"Ces alumineries-là, quand elles ont été mises en place dans les années30, les années40, il n’y avait aucun traitement des rejets. Tous les contaminants, comme les HAP, allaient directement dans la rivière"}}">Ces alumineries-là, quand elles ont été mises en place dans les années 30, les années 40, il n’y avait aucun traitement des rejets. Tous les contaminants, comme les HAP, allaient directement dans la rivière, rappelle Stéphane Lair.

70], en raison des changements de procédés et du traitement des eaux, la quantité de contaminants relâchés dans l’environnement par les alumineries a diminué de façon considérable","text":"Par la suite [à partir des années70], en raison des changements de procédés et du traitement des eaux, la quantité de contaminants relâchés dans l’environnement par les alumineries a diminué de façon considérable"}}">Par la suite [à partir des années 70], en raison des changements de procédés et du traitement des eaux, la quantité de contaminants relâchés dans l’environnement par les alumineries a diminué de façon considérable, poursuit-il. HAP qu’on retrouve dans les sédiments de la rivière Saguenay sont semblables à ceux qu’il y avait avant l’arrivée des alumineries. ","text":"Aujourd’hui, les niveaux de HAP qu’on retrouve dans les sédiments de la rivière Saguenay sont semblables à ceux qu’il y avait avant l’arrivée des alumineries. "}}">Aujourd’hui, les niveaux de HAP qu’on retrouve dans les sédiments de la rivière Saguenay sont semblables à ceux qu’il y avait avant l’arrivée des alumineries. 

Ces efforts semblent avoir porté fruit, puisqu’au fil du temps, les bélugas atteints de cancers se sont faits de plus en plus rares. HAP","text":"Ça fait plusieurs années qu’on n’a pas eu de cas, ce qui supporte notre hypothèse que ces cancers-là étaient associés à une exposition aux HAP"}}">Ça fait plusieurs années qu’on n’a pas eu de cas, ce qui supporte notre hypothèse que ces cancers-là étaient associés à une exposition aux HAP, dit Stéphane Lair.

Tous les bélugas qui sont morts de cancers, du moins ceux qu’on a documentés, étaient vivants durant les années 60 ou les années 70.

Une citation de Stéphane Lair, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et directeur du Centre québécois sur la santé des animaux sauvages

Ça nous encourage, l’histoire du béluga nous amène quand même de bonnes nouvelles , affirme Robert Michaud. Tout ce qu’on fait comme mesure de protection, ce ne sont pas des gestes désespérés, ça peut donner des résultats.

Le directeur du GREMM ajoute que la révision à la hausse de l’estimation du nombre de bélugas du Saint-Laurent (Nouvelle fenêtre), il y a un an, est une autre bonne nouvelle pour l’espèce.

Cela ne signifie pas que la population a augmenté, mais plutôt que la méthode pour compter les individus s’est améliorée. C’est quand même une bonne chose parce que s’il y avait une épidémie majeure, la population a quand même plus de résilience, considère Robert Michaud.

Le scientifique voit également d’un bon œil le projet d’agrandissement du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, qui pourrait, selon lui, faciliter la création de refuges acoustiques à Kamouraska et à Cacouna pendant la période de reproduction des bélugas, comme celui qui existe déjà dans la baie Sainte-Marguerite, dans la rivière Saguenay.

PAR Michaële Perron-Langlais