Les jours gras du temps passé

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Imaginez-vous que vous êtes en 1970. C’est le mois de février. Angéline et Adèle, deux femmes dans la soixantaine, sont en train de piquer une courtepointe. Une jeune femme, Hélène, leur donne un coup de main et pose des questions sur les festivités des jours gras du temps passé. Le père d’Adèle, Étienne, assis près du poêle à bois, lit le journal tout en fumant la pipe. Il écoute d’une oreille distraite la conversation.


PAR Georges Arsenault


Angéline : La semaine prochaine ça sera Mardi gras. Ah! que le temps passe vite. Je me demande s’il va ben y avoir une danse à la salle cette année pour fêter le Mardi gras!

Adèle : Ah! je sais ben pas. On dirait que le monde pense pu à fêter le Mardi gras comme dans le temps passé.

Angéline : Moi, à chaque année quand ça arrive aux jours gras, c’est ben simple, l’ennui me prend. Ça me fait assez penser à ma belle jeunesse pis au plaisir qu’on avait dans ce temps-là.

Hélène : Quoi c’que vous voulez dire par les jours gras? C’est-i’ la même chose que le Mardi gras?

Angéline : Ah! la jeunesse d’aujourd’hui, ça connaît rien des vieilles traditions. Les jours gras, ma chère, c’est les sept jours avant le commencement du carême. Pis le septième jour, c’est le Mardi gras. C’est aussi simple que ça!

Adèle : Dans le temps passé, c’était fêté en grand ces jours-là. Il y en a qui alliont danser presqu’à tous les soirs, pis ils mangiont comme des rois!

Angéline : C’était pas comme les carnavals d’hiver d’asteure. Loin de là! C’était des soirées que je nous organisions entre nous autres, entre voisins.

Adèle : J’fêtions comme ça parce que dans le carême on pouvait pu rien faire parce que les règlements de l’église étiont ben stricts dans ce temps-là. C’était un temps de pénitences et de prières. C’était ben ennuyant.

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Angéline : On pouvait pas danser dans le carême. Il fal-lait jeûner, on mangeait pas de douceurs pis les gars pouviont pas aller voir leurs blondes aussi souvent.

Étienne : Ah! c’était pas qu’une petite affaire, ça. Nous autres, les jeunesses, on trouvait ça pas mal dur. On aurait dit qu’il y avait pu de fin à ces quarante jours de carême.

Hélène : Les danses, les faisiez-vous à la salle paroissiale?

Angéline : Non, non. Comme je disais, toutes ces fêtes-là, c’était entre voisins, entre amis. J’nous ramansions à une maison où c’qu’on pouvait danser. Laisse-moi te dire que le monde savait comment danser. C’était pas des gi-barres comme qu’on fait aujourd’hui.

Adèle : Les danses, on les faisait presque tout le temps dans les cuisines des plus grandes maisons du village. Il y avait de la place pour une trentaine de personnes, même une quarantaine.

Angéline : C’était aussi un temps pour recevoir de la visite. La parenté se visitait. Ma défunte mère me contait que dans sa jeunesse ses oncles pis ses tantes qui restiont à trente milles d’icitte veniont se promener pour des quatre, cinq jours de temps. Ils veniont en traîne.

Adèle : Apparence que dans ce temps-là c’était aussi la façon de se marier durant les jours gras.

Angéline : Ils pouviont pas se marier dans le carême, ça fait s’ils vouliont se marier avant le printemps, ils profitiont des jours gras pour avoir des grosses noces.

Hélène : Comment ça se fait qu’ils appeliont ça les jours gras?

Adèle : Comme je te disais, le carême c’était un temps de jeûne. Même que longtemps avant mon temps il était défendu de manger de viande tout le temps du carême.

Angéline : Ça fait qu’on épargnait pas la viande pis le lard dans les jours gras. C’était aussi bien parce qu’il fallait vivre su du hareng pis de la morue salée le reste de l’hiver.

Adèle : Le lundi et le mardi gras, surtout, on se faisait une grosse râpure, ou une grosse potée de poutines râpées ou de fricot, même des crêpes. Ben sûr, il y a avait des douceurs sur la table. Pis on s’assurait d’avoir assez de sucre à la maison pour faire du fudge ou du taffy.

Angéline : Lundi et mardi gras, c’était les deux plus grosses journées. C’était là qu’on fêtait le plus. Ah! oui, le lundi soir j’commencions à danser de bonne heure en soirée pis souvent on continuait à danser jusqu’aux petites heures du matin.

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Adèle : Le mardi gras, c’était la dernière journée pour fêter. La danse commençait dans l’après-midi. Il faut dire que la plupart du monde, ne travaillait pas ce jour-là.

Angéline : Dans ce temps-là, l’hiver, le monde su la ferme pis les pêcheux étiont pas trop empressés. Ils étiont capable de prendre le temps de fêter.

Étienne : Il y en a même qui croyiont que s’ils alliont travailler au bois cette journée-là, ils pourriont avoir de la malchance, ils pourriont se faire mal.

Hélène : C’était-i’ seulement la jeunesse qui fêtait?

Angéline : C’était une fête pour tout le monde. À l’école, le maître ou la maîtresse faisait du taffy pour les élèves. Pis la classe finissait de bonne heure le mardi gras après-midi. Je t’assure ben que les maîtres et maîtresses d’écoles vouliont pas manquer la danse.

Adèle : Les vieux, eux, ils jouiont surtout aux cartes. T’en souviens-tu Marcelline de mon grand-père Thaddée? Lui, à minuit, le Mardi gras, il jetait le paquet de cartes au feu! Pas de jeux de cartes dans le carême. C’était sa pénitence.

Angéline : Te souviens-tu de la maîtresse d’école, Madeleine à Pierre à Charles, qui avait tout usé ses souliers neufs à force de danser.

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Adèle : Oui, pis elle avait pas eu grand repos ces jours-là. Tous les gars du village aviont un oeil sur elle.

Angéline : Le mardi gras, quand minuit sonnait, le rideau tombait. Tout devait être fini. C’était le carême qui commençait pis il fallait mettre de côté la musique, les râpures, les cartes pis tout le reste.

Étienne : C’était ben intéressant ces fêtes-là. On était pas riche, bès on avait du plaisir, en masse de plaisir. Ça coûtait pas cher non plus des veillées dans les maisons.

Hélène : Comment ça se fait que ç’a tout été abandonné ces fêtes-là?

Adèle : Il faut dire que les temps avont changé par les petits. Quand la Deuxième Grand Guerre a commencé, les villages s’avont vidé de leurs jeunesses. Les gars ont été à la guerre pis les filles ont été travailler en ville, à Montréal surtout.

Angéline : Après la guerre, le monde a commencé à s’acheter des chars pis il y en avait qui organisiont des danses dans les salles.

Adèle : À part de ça, les règlements de l’Église avont changé. Le jeûne obligatoire a été abandonné pis ben d’autres choses. Asteure, on mange pis on danse autant dans le carême que pendant le reste de l’année. On pense pu à fêter les jours gras comme dans l’empremier.

Étienne : Ça ben l’air qu’on fêtera Mardi gras cette année. J’ai vu dans le bulletin qu’on annonce une soirée du bon vieux temps à la salle paroissiale pis qu’on servira même des poutines râpées! V’là votre chance d’aller fêter, les femmes. C’est pas loin Mont-Carmel.

 

LA UNE : Des joueurs de cartes à Urbainville. De gauche à droite : Délima Cormier, Gus (à Jos Hubert) Arsenault, Benoît Cormier et Madeleine Arsenault. (Photo : Collection Gérard Arsenault)