Maquereaux et données manquent à l’appel

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La population de maquereaux de l’Atlantique Nord-Ouest a atteint cette année son plus bas niveau historique. À tel point que Pêches et Océans Canada en a interdit la pêche commerciale, une première dans l’histoire canadienne. Plusieurs pêcheurs estiment qu’une pêche mieux contrôlée protégerait la ressource à long terme.

Nous sommes le 30 mars 2022, la saison de pêche au maquereau commence dans 48 heures. Les équipes sont dans les derniers préparatifs pour prendre la mer. Comme chaque printemps, le maquereau migre de la Caroline du Nord jusqu’au Labrador, en longeant la côte. Mais à plusieurs centaines de kilomètres de là, la ministre fédérale des Pêches, Joyce Murray, annonce que le maquereau devra rester dans l’eau cette année pour le rétablissement du stock.

Quelques mois auparavant, en Gaspésie, Camille Gagné menait deux carrières de front, la pêche, sa passion, et la transformation-commercialisation-restauration. À la fin de 2021, elle décide de se consacrer uniquement à la pêche. Elle investit tout près d’un quart de million de dollars pour réparer son bateau et acheter de nouveaux équipements spécifiques à la pêche au maquereau.

C’est par les réseaux sociaux qu’elle apprend la fermeture de la pêche : Clairement, cette année, malheureusement, ça va être une année déficitaire pour la compagnie.

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Comme plusieurs collègues, cette capitaine de la relève a été surprise de cette interdiction de dernière minute. Les pêcheurs entendaient parler de la diminution des stocks depuis des années, mais pas au point d’imaginer que cela nécessiterait une fermeture de la pêche.

Des quotas déjà en baisse

Au Canada, il existe deux types de pêches professionnelles au maquereau : la pêche commerciale destinée à la transformation, la restauration et surtout à fournir des appâts aux pêches les plus lucratives du pays, comme les pêches au crabe et au homard. Parce que contrairement à certains pays d’Europe et d’Asie, le maquereau ne fait pas partie d’une habitude alimentaire canadienne.

En parallèle, il existe la pêche dite à l’appât, lorsque le maquereau est directement pêché par ceux qui en ont besoin pour appâter le homard, le crabe ou le thon.

Le quota de ces pêches est partagé entre toutes les provinces de l’Atlantique et le Québec.

En 2019, ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO) avait déjà réduit de 20 % le total admissible des captures (TAC), passant ainsi de 10 000 tonnes à 8000 tonnes. Grâce aux recommandations des scientifiques du ministère, la taille minimale des poissons capturables avait aussi augmenté, pour laisser une chance aux stocks de se reproduire.

En 2021, le TAC a été coupé de moitié pour passer à 4000 tonnes. Cette année-là, le ministère a aussi fixé une limite de prises pour la pêche récréative, celle des amateurs, une première depuis 1985.

Mais ces mesures n’ont pas suffi à améliorer l’état des stocks, comme l’explique le sous-ministre adjoint de la gestion des pêches et des ports de Pêches et Océans Canada, Adam Burns : Malheureusement, ça n’a pas arrêté [la diminution des stocks]. C’est pour cette raison qu’on a arrêté la pêche commerciale et aussi la pêche à l’appât cette année.

Manque de données sur les débarquements

Sous prétexte de pêche récréative, le ministère écrit dans son Plan de rétablissement du maquereau de l’Atlantique, qu’livres de maquereau en une journée sans être tenu de le déclarer. […] Il existe un risque que la pêche commerciale du maquereau se poursuive, après sa fermeture, sous le couvert de la pêche récréative","text":"il n’est pas rare que certains navires de plaisance débarquent plus de 500livres de maquereau en une journée sans être tenu de le déclarer. […] Il existe un risque que la pêche commerciale du maquereau se poursuive, après sa fermeture, sous le couvert de la pêche récréative"}}">il n’est pas rare que certains navires de plaisance débarquent plus de 500 livres de maquereau en une journée sans être tenu de le déclarer. […] Il existe un risque que la pêche commerciale du maquereau se poursuive, après sa fermeture, sous le couvert de la pêche récréative.

Pour limiter la pression sur la ressource, en mai 2021, le ministère impose une limite de 20 maquereaux par personne et par jour. Mais aucun mécanisme de déclaration des prises n’existe. Seuls des agents de pêche sur les quais peuvent prendre les contrevenants en flagrant délit, comme c’est arrivé à Grande-Vallée, en Gaspésie, l’été dernier.

Autrement dit, la quantité de maquereaux débarqués par la pêche récréative reste une zone grise. Et ce n’est pas la seule.

Le scientifique Dominique Robert, professeur à l’Institut des sciences de la mer de l’Université du Québec à Rimouski, souligne que la pêche à l’appât […] n’est pas systématiquement monitorée dans toutes les régions du Canada atlantique. Donc, il y a une partie de ce qui est pris pour appât qu’on ne connaît pas. Ça n’aide pas beaucoup pour évaluer la pression sur la ressource.

Un homardier qui passe dans un banc de maquereaux, par exemple, a tout à fait le droit de pêcher quelques centaines de livres et de s’en servir tout de suite, en tout ou en partie. Ainsi, ce maquereau ne passera pas par le quai où il pourrait y avoir une éventuelle vérification.

Si le MPO reconnaît depuis des décennies que les débarquements de maquereaux sont largement sous-estimés, un autre problème a été identifié par les acteurs du milieu sur l’écart entre les normes entourant la déclaration des prises.

Zone grise sur la déclaration des prises

Malgré une gestion fédérale des pêches, les réglementations sur la surveillance et la déclaration des prises varient d’une province à l’autre. Certains pêcheurs doivent appeler avant de rentrer au quai pour déclarer leurs prises, d’autres font l’objet de surveillance à bord de leur bateau avec un observateur en mer lors des sorties de pêche. Il n’y a cependant pas d’exigence de vérification au quai au Québec par exemple, alors que c’est le cas de la majorité de la flottille terre-neuvienne.

Au Québec et à Terre-Neuve par contre, les pêcheurs remplissent un journal de bord. Mais ce n’est pas le cas à l’Île-du-Prince-Édouard et dans une partie du Nouveau-Brunswick. Comme l’explique Ghislain Collin, président du Regroupement des pêcheurs pélagiques du sud de la Gaspésie, eux autres, ils déclarent les prises qu’ils ont dans leur usine. Mais le pêcheur qui débarque au quai, puis qui emmène son poisson chez eux, il est à lui.

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M. Collin s’explique mal pourquoi tous les pêcheurs ne sont pas soumis aux mêmes règles quand vient le moment de déclarer ses prises, alors que même les scientifiques du ministère recommandaient déjà, il y a plus de 20 ansun livre de bord obligatoire [pour] tous les pêcheurs, incluant les pêcheurs d’appâts.

Ces différences engendrent de l’incompréhension, voire des tensions entre les pêcheurs.

D’après le ministère des Pêches et des Océans du Canada, ces différences provinciales sont historiques. Mais il annonce, par l’entremise de la relationniste média Kariane Charron, qu’MPO évaluera les risques et les exigences de gestion de la pêche au maquereau de l’Atlantique, examinera l’efficacité du programme actuel de surveillance et de production de rapports sur les pêches, et apportera les changements nécessaires pour appuyer les pratiques de pêche durables","text":"en collaboration avec les participants aux pêches, le MPO évaluera les risques et les exigences de gestion de la pêche au maquereau de l’Atlantique, examinera l’efficacité du programme actuel de surveillance et de production de rapports sur les pêches, et apportera les changements nécessaires pour appuyer les pratiques de pêche durables"}}">en collaboration avec les participants aux pêches, le MPO évaluera les risques et les exigences de gestion de la pêche au maquereau de l’Atlantique, examinera l’efficacité du programme actuel de surveillance et de production de rapports sur les pêches, et apportera les changements nécessaires pour appuyer les pratiques de pêche durables.

Pourtant, Ghislain Collin assure avoir déjà soulevé la question auprès du ministère, sans réponse. Son association de pêcheurs pélagiques n’a d’ailleurs pas été invitée au dernier comité consultatif annuel sur le maquereau organisé par le MPO. D’autres associations de pêcheurs commerciaux déplorent aussi ne pas avoir été consultées, comme celle des capitaines propriétaires de Gaspésie, l’Union des pêcheurs des Maritimes ou la Coalition des organisations de pêche de l’Atlantique et du Québec.

Différentes techniques de pêche, différentes pressions sur la ressource

La surpêche est la cause principale du déclin du maquereau. Plusieurs pêcheurs pensent que la gestion de cette pêche devrait être plus équitable et durable pour la ressource.

La capitaine Camille Gagné explique qu’au cœur de la saison de pêche au Québec, les pêcheurs commerciaux sont autorisés à pêcher avec 200 hameçons sur une ligne. C’est une technique qu’apprécie aussi le pêcheur Lauréat Lelièvre, pour son efficacité et sa moins forte pression sur la ressource.

Ce passionné a longtemps pêché le homard. Il espérait passer ses dernières années en mer à pêcher uniquement le maquereau. Il s’est lui aussi fait surprendre par cette fermeture de dernière minute. Il est convaincu, comme Camille Gagné et plusieurs pêcheurs et scientifiques, qu’une pêche bien contrôlée protégerait la ressource à long terme.

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Les pêcheurs à l’hameçon partagent le même quota que de bien plus gros bateaux, basés à Terre-Neuve principalement, qui, eux, pêchent à la senne, une sorte de grand filet circulaire flottant. En une nuit, un senneur peut pêcher jusqu’à 300 tonnes de maquereaux. Trois-cents tonnes par nuit, c’est trois ans de mes pêches à moi, dit M. Lelièvre, dépité. Et dans un filet, comment veux-tu respecter la taille des petits qu’on doit remettre à l’eau? Ils sont déjà morts.

Rétablissement du maquereau

L’avenir est incertain pour le rétablissement de la population de maquereau et sa pêche. Le ministère attend les résultats de la prochaine évaluation des stocks, publiée au cours de l’hiver, avant de se prononcer pour la saison prochaine de pêche commerciale. Mais d’après le scientifique Dominique Robert, en plus de la surpêche et de la prédation par le phoque gris et le thon rouge, le taux de survie des larves est faible depuis des années.

En temps normal chez les poissons, la plupart des larves meurent. Pour le maquereau, le chercheur indique % de mortalité [...] Puis, il y a certaines années où la mortalité est moins forte. On assiste alors à un fort recrutement, donc beaucoup de jeunes poissons vont aller rejoindre le stock adulte et le renforcer","text":"qu’on parle de plus de 99% de mortalité [...] Puis, il y a certaines années où la mortalité est moins forte. On assiste alors à un fort recrutement, donc beaucoup de jeunes poissons vont aller rejoindre le stock adulte et le renforcer"}}">qu’on parle de plus de 99 % de mortalité […] Puis, il y a certaines années où la mortalité est moins forte. On assiste alors à un fort recrutement, donc beaucoup de jeunes poissons vont aller rejoindre le stock adulte et le renforcer, précise-t-il.

Mais il s’écoule trois ou quatre ans avant que le maquereau n’atteigne sa taille de reproduction et ne soit disponible pour la pêche commerciale. Autrement dit, l’arrêt d’un an présentement de la pêche n’aura pas un effet rapide, même si cette année était une bonne année pour le recrutement du maquereau, explique Dominique Robert. Il faut être patient. […] Il s’agit d’obtenir une bonne année et on pourrait assister à un rétablissement en trois ou quatre ans à ce moment-là.

Camille Gagné garde aussi espoir. Pour elle, l’incertitude est le propre de la pêche. Quant à Lauréat Lelièvre, il confie que, s’il devait avoir une seconde vie, il serait encore pêcheur. On a tout sur l’eau. À tous les jours, c’est de quoi de nouveau.

LA UNE : Maquereaux bleus de l’Atlantique Nord-Ouest, fraîchement pêchés, caractérisés par des rayures noires sur le dos et une couleur gris bleuté. PHOTO : RADIO-CANADA / CARINE MONAT
PAR Carine Monat