Un rorqual commun sur deux est victime d’un empêtrement

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Si la menace des empêtrements était jusqu’ici jugée peu importante pour les rorquals bleus et les rorquals communs, ces résultats pourraient modifier notre perception de ce risque.

Comment les scientifiques ont-ils fait cette découverte? Pourquoi les estimations étaient-elles si basses? Baleines en direct s’est entretenu avec Christian Ramp.

Changer de quelques degrés le point de vue

Rares sont les empêtrements impliquant des rorquals communs ou des rorquals bleus qui sont signalés à Pêches et Océans Canada ou au Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins. La majorité des incidents se déroulent loin des yeux des pêcheurs. Alors, comment mesurer les prises accidentelles?

D’habitude, les taux d’empêtrements sont estimés à partir des cicatrices sur les animaux. Or, les empêtrements se font fréquemment au niveau de la queue ou de la bouche, deux parties du corps que les rorquals communs et les rorquals bleus ne dévoilent pas lors de leur présence en surface. Pour les rorquals communs et les rorquals bleus, les photos utilisées en photo-identifications sont prises au niveau du flanc et de la nageoire dorsale, des zones peu susceptibles de porter des traces d’empêtrement.

«Avec ces observations, la croyance voulait que par leurs habitudes à être plus au large que les rorquals à bosse, par le fait qu’ils sont plus grands, plus forts et plus fuselés, les rorquals communs et les rorquals bleus se prenaient moins dans les engins de pêche ou arrivaient à s’en défaire facilement», explique le chercheur principal de l’étude, Christian Ramp. «En fait, on ne regardait pas à la bonne place pour bien comprendre l’ampleur du problème.» Ainsi, on estimait à seulement 6,5% le taux d’empêtrement chez les rorquals communs et 13,1% chez les rorquals bleus.

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Christian Ramp est spécialiste des grands rorquals. © MICS

En se penchant sur des photos où on voit bien le pédoncule, soit la zone entre la nageoire dorsale et la queue, les proportions ont radicalement changé: 80% des rorquals communs avaient des cicatrices d’empêtrements et 60% pour les rorquals bleus.

Le hic dans ces pourcentages, c’est que les rorquals communs et les rorquals bleus montrent peu leur pédoncule. Il est donc possible que les baleines blessées aient à arquer davantage son dos pour plonger et montre donc plus son pédoncule, ce qui donnerait un plus haut pourcentage.

Il fallait donc contrevérifier les données. À l’aide de drones, l’équipe du chercheur Christian Ramp a filmé les parties du corps des rorquals communs qui restent sous l’eau et qui ne pouvaient être observées avant. Les images aériennes ont dévoilé qu’environ un rorqual commun sur deux porte des cicatrices liées à des empêtrements.

«Changer la perspective de quelques degrés a permis d’avoir un constat tout autre sur l’importance de la menace que représentent les empêtrements», souligne Christian Ramp. Avec un plus large échantillonnage et en incluant les marques présentes sur les carcasses, le chercheur espère  avoir une meilleure évaluation de l’importance de la menace. Dans tous les cas, il est clair qu’elle avait été sous-estimée.

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Les queues des rorquals communs portent aussi à l’occasion les marques d’empêtrements. Les images marquées 0: sans cicatrices, 1: quelques marques d’origine incertaine, 2: empêtrement très probable, 3: cicatrice d’empêtrement certain. © Ramp et coll., 2021

Bien plus que des cicatrices

Si les baleines peuvent mourir d’être prises dans des cordages, des casiers ou des filets de pêche, elles peuvent aussi s’en déprendre d’elles-mêmes ou être déprises par des équipes de sauvetage. Toutefois, ce n’est pas parce qu’une baleine ne traine plus de matériel de pêche qu’elle n’en subit pas de conséquences: blessures, infections, fractures, douleurs, perte d’énergie importante liée au ralentissement de la nage, augmentation du stress, etc.

Ces effets secondaires posent problème pour des espèces aussi fragiles. Avec une population estimée entre 500 et 1500 individus pour l’Atlantique Nord, les rorquals bleus sont en voie de disparition. Dans le Saint-Laurent, très peu de femelles viennent accompagnées de leur petit. Les rorquals communs, eux, ont le statut «préoccupant» selon la Loi sur les espèces en péril. Depuis 2004, le taux de survie des rorquals communs qui visitent le Saint-Laurent semble avoir diminué. L’abondance générale de la population décline.

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Ce ne sont pas tous les empêtrements qui sont aussi visibles que celui du rorqual commun Capitaine Crochet, pris dans un casier de pêche au crabe. © GREMM

«Même s’il n’y a pas de preuve que la situation problématique des rorquals communs ou des rorquals bleus soit causée en tout ou en partie par les empêtrements, il est hautement probable que cette menace joue un rôle, si on prend en compte les impacts prouvés des empêtrements sur d’autres espèces comme les baleines noires. Il est possible qu’une baleine empêtrée ou tout juste libérée ne soit pas capable de se reproduire, par exemple», indique Christian Ramp.

Les importantes cicatrices des rorquals à bosse

L’équipe a aussi profité de cette étude pour analyser les marques d’empêtrement chez les rorquals à bosse. Cette espèce lève la queue avant de plonger et permet donc de photographier à partir d’un bateau, sans drone, les marques d’empêtrements. Le résultat est lui aussi plus élevé que prévu: 85% des rorquals à bosse du golfe du Saint-Laurent portent des cicatrices d’empêtrement. De plus, ce taux excède ceux de rorquals à bosse d’autres secteurs, dont celui du golfe du Maine (65%) ou celui du sud-est de l’Alaska (71%). C’est même plus que pour l’espèce des baleines noires de l’Atlantique Nord (83%)!

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Les marques blanches sur la queue de Snowball témoigne de son empêtrement. © René Roy

«On ne sait pas où les rorquals à bosse qui visitent le Saint-Laurent se prennent dans les cordages. Est-ce durant la migration? À leur arrivée dans le golfe? “Nos” rorquals à bosse se retrouvent à croiser plusieurs types de pêche à engins fixes à différents moments de l’année et croisent des secteurs densément exploités. Il faudra préciser où et quand les baleines s’empêtrent pour mieux comprendre le problème et le prévenir», explique Christian Ramp.

Réduire les empêtrements, une urgence!

«Cet article scientifique a été le plus facile à écrire de ma carrière, tous les éléments étaient là, facilement visibles. Mais je pense qu’il sera celui qui fera le plus changer les choses en conservation», constate-t-il. En ce moment, d’importants efforts sont consentis par le gouvernement du Canada et les pêcheurs pour réduire les risques d’empêtrement de la baleine noire de l’Atlantique Nord, une espèce en voie de disparition. La fermeture de zone de pêche lorsque des baleines noires sont présentes pourrait rendre moins probable les empêtrements. Verrons-nous des mesures similaires pour les autres espèces?

La solution viendra peut-être aussi des modifications des engins de pêche. Des nombreuses compagnies et organismes travaillent à rendre la pêche au crabe moins dangereuse pour les baleines noires (et pour les autres espèces). Une des innovations consiste à garder les cordages rétractés jusqu’au moment où le pêcheur vient récolter ses prises. Les premiers prototypes ont été testés l’été dernier. «On peut penser que les prises accidentelles sont une responsabilité des pêcheurs. Mais nous, comme citoyens, nous pouvons demander à nos poissonniers des produits issus de pêcheries responsables. Si on demande du crabe des neiges capturé dans des casiers sans cordage, les façons de faire changeront plus vite», espère Christian Ramp.

Et les baleines, elles, se prendront moins au piège.

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Un rorqual commun sur deux aurait été victime d’au moins un empêtrement, comme Bp902. Les marques blanches sont des cicatrices de frottement de cordages en voie de guérison. © GREMM
LA UNE : Grâce aux images de drone, l’équipe de Christian Ramp a pu constater que bien des empêtrements passaient jusqu’à maintenant inaperçus. Les images marquées 0: sans cicatrices, 1: quelques marques d’origine incertaine, 2: empêtrement très probable, 3: cicatrice d’empêtrement certain. © Ramp et coll., 2021