Hugo Bourque : J’te prie de m’faire gagner l’gros lot

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«Mais tout le monde sait que je l’aime

Ben à me cause tout le temps des problèmes

Le mercredi quand-ce-qu’à va au bingo.»


 


 

Chaque fois que j’entends «La reine du bingo» de Cayouche, plein de choses remontent en moi. Et là, je ne parle pas de mon souper, je parle de souvenirs. Et je ne suis sûrement pas le seul. Le bingo est sans aucun doute le sport le plus connu du Québec. Je dis «sport», parce que c’en est un. J’avoue qu’on n’a vraiment pas besoin d’une forme physique impressionnante pour s’adonner à ça, mais ça demande quand même beaucoup de pratique pour bien pitonner ses cartes. À ceux qui pensent que c’est un jeu de chance, je vous dirai ceci: quand vous serez capable de zieuter 25 cartes en même temps sans échapper un numéro, on s’en reparlera.

Je me souviens du temps où maman vendait des cartes à L’Étang-du-Nord, les dimanches soir. C’était dans le temps où le Centre récréatif ressemblait à un paquet de biscuits en métal. Vous savez les demi-tuyaux de sécheuses renversés? Quand tu assistais à un spectacle pendant une pluie battante, le bruit que ça faisait te donnait l’impression que tout Lavernière subissait un bombardement sans précédent. Toujours est-il qu’à l’époque où ma mère était vendeuse de cartes, il m’arrivait parfois de l’accompagner. Je jouais ma petite carte en espérant gagner quelque chose. Souvent, tout ce que je gagnais, c’était la piastre que maman me donnait pour m’acheter un chip au ketchup Hostess. Les meilleurs! Jamais égalés jusqu’à aujourd’hui… mais, je m’égare.

J’aimerais prendre deux minutes et remercier la vie d’avoir interdit aux gens de fumer dans ce genre d’endroit. Deux heures à côté de fumeuses compulsives et stressées par l’appât du gain, ça te boucane un poumon vierge. Tu revenais chez vous avec les cheveux pis les hardes qui puaient le vieux cendrier de char. Jusqu’au jour où quelqu’un a décidé de diviser la salle en deux: fumeurs d’un côté et non-fumeurs de l’autre. Comme si la boucane allait être assez intelligente pour rester de son bord!

Pour les plus jeunes qui lisent ce texte, il faut savoir qu’avant ça, on ne tapochait pas nos cartes avec un marqueur fluo comme aujourd’hui. On jouait à ça avec des cartes vertes munies de petites fenêtres rouges qu’on ouvrait ou fermait si l’on avait le numéro nommé par Marie-Anna Bourque ou non. Le problème que j’avais quand j’étais enfant, c’est qu’après avoir ouvert ou fermé la moitié des fenêtres lors du tour de la carte pleine, je n’étais plus certain si les fenêtres ouvertes étaient les numéros nommés ou les numéros manquants. Le temps que je valide la technique que j’avais choisie pour jouer, je perdais le fil, et c’est là que je me levais pour aller acheter mon chip au ketchup. J’ai peut-être laissé passer des milliers de dollars à cause de ça…

Je me souviens d’avoir gagné une fois. On devait être plusieurs sur le lot puisque ma part n’était que de 15$. Je me rappelle très bien m’être levé pour aller récupérer mon argent. Je me suis présenté à la table des vérificateurs et j’ai dit à Michel à Raymond, directeur des loisirs à l’époque, que je voulais mon gain en coupures d’un dollar. Dans ma tête de petit garçon, plus j’avais de billets en main, plus j’étais riche. Allez-y, riez…

Le phénomène qui m’a toujours fasciné avec le bingo, c’est la montée dramatique de la tension pendant une joute. Quand la partie commence, c’est silence. Il n’y a que le boulier qui essaie de nous rendre fous avec son roulement incessant. Plus les numéros sortent, plus un murmure se fait entendre dans la salle. Comme une rumeur de fin du monde. Et plus ce murmure est présent, plus le cri triomphant est imminent. Généralement, trois à quatre boules avant que le gagnant huche sa victoire, on sait que ça s’en vient. On étire alors notre cou de curieux, mais évidemment, aux Îles, on reconnaît le chanceux juste par sa voix. Pendant quelques secondes, on se permet de le haïr… lui et toute sa famille. Et ça fait du bien. On change de carte, on passe à un autre jeu, et tout est terminé. C’est très rare qu’on rumine longtemps une rancœur contre quelqu’un qui nous a «volé» notre bingo. Je propose d’ailleurs que la prochaine Grande Guerre mondiale se déroule au Centre récréatif de L’Étang-du-Nord: les pays en conflit achètent des cartes, la calleuse de numéro sort ses boules, et le premier à avoir une carte pleine gagne. Merci, bonsoir. Tout le monde retourne chez eux et on passe à autre chose.

Pour plusieurs, le bingo est quelque chose de quétaine. C’est dommage, parce que pour moi, c’est plutôt une source intarissable de souvenirs. Si j’étais jeune aujourd’hui, je n’aurais même pas le droit d’y aller. C’est interdit aux moins de 18 ans. Le jeu doit rester un jeu. Mais je n’aurais pas accès à ce genre d’anecdotes. J’aurais passé à côté de moments spéciaux avec ma mère, à côté d’une liasse de 15 billets d’un dollar et surtout, surtout… à côté de nombreux chips au ketchup Hostess.

On se r’parle!