Quand la précaution ne suffit plus à protéger la crevette nordique

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Les pêcheurs de crevette savent bien que la ressource est de plus en plus fragile. Ils ne s’attendaient toutefois pas à ce que les biologistes proposent des diminutions d’allocations plus importantes que celles anticipées par l’approche de précaution utilisée depuis des années par le ministère.

Il y aura sans nul doute une baisse des allocations dans les zones Estuaire, Anticosti et Esquiman et à une hausse dans la zone de Sept-Îles. Les pêcheurs ont pris acte de la revue scientifique présentée il y a quelques semaines.

En fonction des calculs de biomasse et des calculs qui sont utilisés avec cette approche, les pêcheurs prévoyaient des baisses de l’ordre de 800 tonnes dans la zone Esquiman et dans la zone Anticosti et une hausse de 1100 tonnes dans la zone de Sept-Îles, explique Patrice Element, de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie.

Toutefois, la semaine dernière, lors de la réunion du comité consultatif, qui réunit les scientifiques et l’industrie, les biologistes du ministère ont soulevé d’importantes questions sur la pérennité du stock.

Ils ont notamment fait valoir que la survie de la ressource était soumise à d’importants facteurs de risques comme la prédation par le sébaste, le réchauffement de l’eau ainsi que la diminution du taux d’oxygène dans le Saint-Laurent.

Le biologiste de Pêches et Océans, Hugo Bourdages, fait aussi état d’un stock de crevettes parmi les plus faibles observés depuis les 30 dernières années.

Les scientifiques ont donc recommandé des prélèvements de la ressource plus importants que l’approche de précaution employée depuis 2012 par Pêches et Océans pour calculer le total des captures autorisées.

Selon l’approche de précaution, l’allocation totale serait de 17 300 t en 2022 comparativement à près de 17 999 t en 2021.

L’approche de précaution

L’approche vise à maintenir le taux d’exploitation à un niveau modéré lorsque l’état du stock est sain, à promouvoir le rétablissement d’un stock en mauvais état et à veiller à ce que les risques de dommages graves ou irréversibles soient faibles. L’approche adapte le taux d’exploitation conformément aux variations de l’état des stocks de poissons fondé sur des règles de décision convenues à l’avance.

Sources : Pêches et Océans Canada

Deux sources, deux portraits

Patrice Element évalue que la proposition des scientifiques pourrait abaisser l’allocation totale de 10 % à 15 %.

1000à 2000tonnes de moins","text":"Pour les pêcheurs, ça voudrait dire de1000à 2000tonnes de moins"}}">Pour les pêcheurs, ça voudrait dire de 1000 à 2000 t de moins, calcule M. Element. Il estime qu’au prix moyen de la crevette, l’an dernier, 1000 t équivaut à une baisse de revenus d’environ 2,5 millions de dollars pour les flottilles du golfe.

Après avoir subi une baisse importante en 2018, les prélèvements de la pêche sont depuis assez stables et se maintiennent autour de 18 000 t.

Capture d’écran, le 2022-02-10 à 12.28.06

Les indicateurs scientifiques disent que la ressource va mal, mais la pêche va bien. Les deux sources d’indication sur la santé de la ressource ne disent plus la même chose.

Il y a beaucoup d’évidences qui nous montrent que nous ne sommes plus dans le même environnement que lorsqu’on a développé l’approche de précaution, résume Hugo Bourdages. La prudence est donc de mise, selon le biologiste.

Les facteurs de risques

On est conscients que l’état des stocks n’est plus aussi bon que ce qu’il était il y a 10 ou 12 ans, commente Patrice Element.

« On est préoccupés, mais modérément optimistes. Il faut enlever les lunettes roses.  » — Une citation de  Patrice Element, de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie.

Les pêcheurs, observe M. Element, sont aussi bien au fait de l’impact des changements climatiques. On a une bonne idée des espèces qui vont être affectées positivement ou négativement, mais par contre il n’y a personne qui est capable de le prédire avec certitude.

Les scientifiques, ce sont des gens avec qui on travaille bien et avec qui on collabore beaucoup, rappelle le porte-parole des pêcheurs. Il soulève par contre des doutes sur la recommandation.

1000 à 2000tonnes de moins, si ça va faire une différence?","text":"Quand on nous dit que le sébaste en consomme quelque chose de l’ordre de quelques centaines de milliers de tonnes, on se demande si on en prend1000 à 2000tonnes de moins, si ça va faire une différence?"}}">Quand on nous dit que le sébaste en consomme quelque chose de l’ordre de quelques centaines de milliers de tonnes, on se demande si on en prend 1000 à 2000 tonnes de moins, si ça va faire une différence, s’interroge le porte-parole des pêcheurs à engins mobiles de la Gaspésie.

Les risques ne sont pas que dans l’eau.

La conservation de la ressource est importante pour le maintien de la certification de pêche durable. L’approche de précaution fait partie du processus. La certification est une exigence des marchés européens, où est principalement vendue la crevette du golfe. Est-ce qu’on peut se permettre de faire sauter ça, se demande M. Element.

« La pérennité de la ressource est plus importante pour nous que pour eux. On ne fera pas exprès de la détruire. » — Une citation de  Patrice Element, de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie.

Hugo Bourdages indique que les scientifiques souhaitent revenir avec un modèle d’évaluation des stocks amélioré pour le prochain exercice, en 2024.

Les pêcheurs ont donc soumis d’autres propositions.

Capture d’écran, le 2022-02-10 à 12.28.17

Les crevettiers ont indiqué au ministère qu’ils souhaitaient que l’approche de précaution soit utilisée dans les trois zones où des baisses sont recommandées, et que le ministère limite les hausses de quotas dans la zone de Sept-Îles à 15 %, soit de 768 t. Cela équivaudrait à 350 t de moins que l’approche de précaution.

La gestion des pêches devrait revenir avec une proposition dans les prochaines semaines, indique M. Element.

Ultimement, c’est la nouvelle ministre des Pêches, Joyce Murray, qui déterminera au printemps le plan de pêche et les allocations de la saison 2022.

Les autres incertitudes

Aux incertitudes des allocations s’ajoutent celles des frais et des prix. La crevette est une des rares ressources marines à ne pas avoir vu son prix monter en flèche au cours des dernières années.

La hausse du carburant fait mal. Pour un voyage de pêche qui coûtait 10 000 $ de diesel en 2021, ce sera 12 000 $ ou 13 000 $ cette année, indique Patrice Element.

Si on a une baisse de quotas avec les augmentations de coûts qu’on a eues et qu’on va avoir. Ça va prendre une bonne augmentation des prix de vente pour atteindre la rentabilité, commente le porte-parole des pêcheurs.

Le sébaste reste dans la mire des crevettiersS’il y a quelqu’un qui en a besoin là, c’est nous autres. L’inquiétude pour les stocks de crevettes démontre encore plus l’importance d’accorder un accès prioritaire aux crevettiers, indique M. Element.

La bonne nouvelle du début de l’hiver reste la levée des mesures sanitaires dans des pays comme la Grande-Bretagne ou le Danemark, qui sont parmi les marchés les plus importants pour la crevette du golfe.

LA UNE : Le stock de crevettes nordiques du golfe est parmi les plus faibles observés depuis les 30 dernières années, ce qui se traduira par de nouvelles baisses des quotas accordés aux pêcheurs. PHOTO : RADIO-CANADA / CRVETTES

PAR Joane Bérubé