Un modèle pour prédire l’avenir des espèces du Saint-Laurent

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Les scientifiques le perçoivent comme « l’autre problème » créé par la hausse des émissions de gaz à effet de serre. L’acidification du Saint-Laurent est un phénomène chimique difficilement réversible dont on commence à mesurer les effets sur la faune. Une modélisation permettra d’ailleurs de mieux évaluer ses impacts sur les différentes espèces.

Chercheuse principale pour Pêches et Océans Canada (MPO) à l’Institut Maurice-Lamontagne, Diane Lavoie travaille sur cette modélisation. Elle permet de constater l’étendue du phénomène, mais aussi de prévoir son ampleur selon la saisonnalité et les différentes profondeurs du golfe et de l’estuaire. Les projections permettent d’entrevoir la transformation du Saint-Laurent d’ici 2030, voire 2100.

Sa modélisation s’ajoute à celles de la hausse des températures et à la baisse de l’oxygène. Elle donne donc un portrait plus juste des phénomènes en marche qui influent sur l’écosystème marin dont dépend la survie de mollusques, crustacés, poissons et mammifères marins.

Nous, ce qu’on a fait, c’est qu’on a ajouté dans ce système-là [le modèle régional du climat], toute la biochimie!

Une citation deDiane Lavoie, chercheuse principale pour Pêches et Océans Canada

Parfois, les phénomènes convergent. En surface, l’acidification va être favorisée par une augmentation des précipitations et un apport plus important en eau douce. Parfois, ils divergent. L’augmentation de la température de l’eau aura pour effet de ralentir la diminution des saturations en carbonate de calcium.

La circulation des courants marins ajoute à la complexité. Le Saint-Laurent est un milieu très hétérogène, rappelle la spécialiste.

Les modèles scientifiques prévoient par exemple qu’à terme, l’augmentation de l’acidification sera moindre dans les profondeurs du chenal laurentien, mais plus importante au sud du golfe, sur le plateau madelinien et dans la vallée de Shédiac, qui sont des zones de pêche importantes.

Acidification dans le golfe.

Le tableau permet de constater l’évolution de l’acidification dans le golfe. PHOTO : GRACIEUSETÉ : DIANE LAVOIE, MPO

Dans 70 ans, la modélisation fait état d’une hausse de l’acidification d’environ 40 % dans les eaux profondes du sud du golfe, mais l’ensemble du Saint-Laurent sera plus acide.

Si on considère seulement la température, une espèce d’eau froide, lorsque ça réchauffe, peut se déplacer vers des eaux plus froides. Dans le cas de l’acidification, il n’y a pas vraiment de refuge parce que c’est global, souligne Diane Lavoie.

Ainsi, même si on entend souvent dire que les océans sont de grands capteurs de carbone, une fois dans l’eau, le dioxyde de carbone réagit avec les molécules d’eau pour former de l’acide carbonique et mène à l’acidification de l’océan.

Des conséquences pour plusieurs espèces

Chaque espèce sera touchée différemment, parfois pas du tout.

La conséquence la plus importante d’un milieu marin de plus en plus acide est sans doute la dissolution du carbonate de calcium, soit la matière qui est utilisée par différents organismes pour fabriquer leur squelette, leur carapace ou leur coquille externe.

À mesure que [les concentrations en carbonate de calcium] diminuent, à un moment donné, c’est que l’eau devient corrosive, donc ces coquilles qui sont déjà formées vont commencer à se dissoudre, explique Diane Lavoie.

Il s’agit d’un impact potentiellement majeur pour plusieurs espèces du golfe. Le homard, la crevette, les moules, les huîtres, donc tout ce qu’on aime bien manger et qui sont des espèces commerciales très importantes, énumère celle qui étudie depuis plusieurs années l’effet des changements climatiques sur l’environnement marin.

Un homard, sur une roche, dans le fond de l'eau entouré d'herbes.

Un homard dans le fond de l’eau (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA

Il y a deux types de carbonate de calcium, l’aragonite et la calcite, qui ne sont pas utilisés par toutes les espèces de la même manière. L’aragonite est par contre beaucoup plus soluble que la calcite. Donc l’aragonite va être affectée beaucoup plus rapidement, commente Mme Lavoie.

D’ici 2080, les eaux de surface de l’ensemble du golfe, plus douces que maintenant, seront sous-saturées en aragonite, rendant la formation de coquilles difficiles ou impossibles.

Le modèle indique que l’aragonite est déjà sous le seuil de solubilité sur une très large proportion des fonds marins du Saint-Laurent.

Donc, il y a certaines espèces qui en ont besoin pour, par exemple, constituer des os, des carapaces qui pourraient déjà avoir de la difficulté à y parvenir. C’est d’ailleurs l’objet de travaux en cours. Quant à la calcite, elle est déjà sous le seuil de saturation dans certains endroits de l’estuaire et sur le plateau madelinien durant quelques mois par année.

De petites huîtres dans la main d'un homme.

Des huîtres âgées de moins d’un an. PHOTO : RADIO-CANADA / JEAN-PHILIPPE HUGHES

L’acidification aussi peut affecter le taux de survie des petites larves, explique Diane Lavoie. Ça peut affecter la croissance parce que pendant que l’organisme est en train d’essayer de toujours reformer sa coquille, il met moins d’énergie ailleurs, donc il va être en moins bonne condition. Chez le homard par exemple, les pinces pourraient être plus petites.

La chercheuse ajoute que, selon certaines études, la qualité nutritive de certaines espèces de phytoplancton, à la base de la chaîne alimentaire, serait moindre. Les poissons ne sont pas épargnés. Il y a des études qui ont démontré que ça pouvait avoir des effets sur leurs capacités sensorielles, donc peut-être une diminution de l’évitement des prédateurs, rapporte la chercheuse.

Des seuils à déterminer

Diane Lavoie collabore à l’étude qui souhaite établir les seuils d’acidification qui pourraient perturber certaines espèces, comme le homard, la moule bleue et les huîtres.

Le modèle numérique est un outil qui peut aider à mieux comprendre les changements dans l’habitat de plusieurs espèces comme le crabe, le homard ou la crevette nordique.

La recherche est orientée vers des espèces déjà très étudiées, ce qui lui permet d’utiliser des données déjà existantes pour déterminer les seuils d’acidification, tels que les niveaux de calcite ou d’aragonite, qui seraient néfastes.

Lorsque les seuils auront été déterminés, les chercheurs pourront utiliser leurs projections pour déterminer si l’acidification affectera les espèces en question. Nous, ce qu’on peut aller voir avec le modèle, c’est le quand, le où, la sévérité du changement, indique la scientifique.

Pour savoir quels seront les impacts sur les espèces, les chercheurs se penchent sur leur emplacement dans la colonne d’eau à leurs différents stades de vie en fonction des variabilités saisonnières. Les larves de homard, par exemple, vont se retrouver en surface au début. Pendant cette période, on va aller voir en surface. Ensuite, la larve va se déposer. Là, on va voir c’est quoi à ce moment-là, illustre la scientifique.

Pour avoir un portrait exact, la recherche se poursuit. Actuellement, indique Mme Lavoie, ce qui nous manque c’est vraiment les seuils. Quelle valeur de pH pour telle espèce pour tel stade de vie.

Lorsque ces seuils seront connus, ils seront mis en conjonction avec les projections du modèle numérique, ce qui permettra d’obtenir un portrait des vulnérabilités des espèces analysées à certains endroits, à certains moments et à quels degrés.

Les résultats de la recherche devraient être publiés en 2024.

LA UNE : Des images des fonds marins ont été prises dans le Saint-Laurent au large de Chandler. PHOTO : INSTITUT MAURICE-LAMONTAGNE
PAR Joane Bérubé