Appel de détresse pour protéger la Pointe de Grande-Entrée

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Des commerçants madelinots lancent un cri du cœur pour que le site de la Pointe de Grande-Entrée soit protégé des assauts de la mer. Québec exige la démolition de certains bâtiments du secteur, en raison d’un « danger imminent » de submersion côtière.

 

L’ambiance est lourde ces jours-ci au Pub chez Halabolina. L’excitation qui devrait se faire sentir à l’approche de la saison touristique fait plutôt place à l’angoisse et au stress.

Dehors, les copropriétaires Hélène Cyr et Dominique Turbide montrent du doigt le haut de la fondation de leur restaurant.

Lors de la tempête Fiona, les vagues frappaient jusqu’ici, indiquent-elles.

Hélène Cyr et sa fille Dominique Turbide photographiées dans leur restaurant.

Hélène Cyr et sa fille Dominique Turbide dénoncent l’abandon des autorités municipales et gouvernementales. Elles n’ont actuellement aucune solution pour sauver leur restaurant de la démolition. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Après s’être investies corps et âme dans le développement de leur commerce depuis 16 ans, la mère et la fille sont dans une impasse. Elles ont reçu, l’été dernier, un avis de danger imminent de submersion du ministère de la Sécurité publique.

Les options qui se sont offertes à nous, c’était la démolition, mais après 16 ans d’activité, quand tu te fais dire que tu vas te faire démolir, c’est inacceptable.

Une citation de Hélène Cyr, copropriétaire du Pub chez Halabolina

Leur restaurant de bord de mer n’est plus protégé : les vagues ont rongé la dune qui se trouvait à l’arrière.

Québec refuse de payer pour déplacer l’imposant bâtiment ou le mettre sur pilotis, rapportent Hélène Cyr et sa fille. Elles expliquent que le ministère de la Sécurité publique accepte seulement de payer la démolition et de verser un montant compensatoire, une somme qu’elles jugent toutefois insuffisante pour reconstruire un bâtiment similaire ailleurs.

Les femmes d’affaires ajoutent qu’elles perdraient également leur terrain, car il serait cédé à la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine après la démolition.

Une dune troué montre un bâtiment qui semble sur la plage.

La dune qui protégeait les bâtiments commerciaux de la Pointe des assauts de la mer a été détruite par les tempêtes. Trois bâtiments voisins ont reçu des avis de danger imminent de submersion côtière du ministère de la Sécurité publique, dont l’un a déjà été démoli. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Le choc est difficile à encaisser, autant pour la mère que la fille.

On a pleuré, on a pleuré, dit Mme Cyr, encore émotive. Je l’ai vraiment très mal pris, vraiment beaucoup, ajoute sa fille Dominique, les larmes aux yeux.

On a investi un demi-million ici, puis la seule option qu’on me donne, c’est la démolition. Qu’est-ce qu’on va faire après?, questionne Hélène Cyr.

Je réalise que si le bâtiment n’est plus là, mon avenir, c’est fini, parce que je n’aurai jamais les moyens de reconstruire quelque chose comme ça, poursuit Dominique Turbide qui souhaitait prendre la relève du restaurant. Oui, c’est du matériel, mais c’est notre famille qui a bâti quelque chose ici.

Ça fait des années que ma mère donne tout dans ça pour que j’aie un avenir stable quand elle va être partie. Si on démolit ça, c’est tout qui part, finalement.

Une citation de Dominique Turbide, copropriétaire du Pub chez Halabolina

L’automne dernier, un édifice patrimonial situé à côté du restaurant Halabolina a été démoli, à la demande de Québec. De l’autre côté, un troisième bâtiment est, lui aussi, en danger imminent de submersion et doit être démoli.

Un bâtiment de bois en train de se faire déconstruire.

Le bâtiment qui abritait l’ancienne coopérative La Vaillante, un magasin général, a été déconstruit l’automne dernier, en raison du danger de submersion côtière. Le propriétaire souhaitait transformer l’édifice patrimonial en distillerie et y valoriser l’histoire de la Pointe, mais il a dû se résigner. PHOTO : GRACIEUSETÉ DE BRUNO LAPIERRE

Les propriétaires lancent un cri du cœur pour que des travaux de protection aient lieu rapidement pour sauver la Pointe, comme ce fut le cas pour le Site historique de La Grave, à l’autre extrémité de l’archipel, à Havre-Aubert.

On essaie de trouver des solutions, on crie, on crie, y a-t-il quelqu’un qui nous entend? Nous autres, on voudrait rester ici, lance Hélène Cyr. Il y a des travaux qui se sont faits partout. On est là, nous autres aussi.

On crie à l’aide pour que quelqu’un vienne nous aider.

Une citation de Hélène Cyr, copropriétaire du Pub chez Halabolina
Un quai de pêcheurs avec des bâtiments en arrière-plan.

En septembre 2022, lors du passage de la tempête Fiona, tout le site de la Pointe de Grande-Entrée, y compris les quais, a été inondé par une marée anormalement élevée. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Un site de pêche névralgique

La Pointe de Grande-Entrée est un lieu névralgique de l’économie madelinienne depuis des décennies. Au milieu du siècle dernier, on y trouvait de nombreuses résidences, de même que plusieurs commerces, aux abords du port de pêche.

Une photo en noir et blanc montre plusieurs bâtiments en bardeaux de bois alignés.

Les maisons et les bâtiments commerciaux étaient nombreux sur la Pointe, tel que le démontre cette photo de 1950. PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC / EDMOND POULIOT

En 1980, un important incendie a détruit la plupart des bâtiments historiques. Certains édifices épargnés par le feu ont ensuite été démolis ou déplacés.

Une carte montre la localisation de La Pointe sur la carte des îles de la Madeleine.

La Pointe de Grande-Entrée est située à l’extrémité est de l’archipel madelinot, au bout de la route 199. PHOTO : RADIO-CANADA / LUC MANUEL SOARES

Aujourd’hui, le site abrite toujours le plus important havre de pêche de l’archipel. Plus de 120 homardiers y sont amarrés, soit plus du tiers de la flottille de l’archipel.

Des homardiers au port de Grande-Entrée.

Le port de Grande-Entrée accueille plus du tiers des 325 homardiers des îles de la Madeleine. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Dans le cadre de son travail, la responsable de la médiation culturelle pour la Fondation Willie Déraspe, Élaine Richard, a entendu de nombreux témoignages de résidents de Grande-Entrée qui soulignent l’importance du site.

C’est avec la Pointe qu’ils ont bâti leur âme de pêcheur, c’est un peuple de la mer, ici. La Pointe, c’est ce qu’ils ont de plus sacré, lance-t-elle.

Le site de la Pointe, c’est toute notre vie. On a grandi ici, on fait la pêche depuis toujours, ici. Ça représente tout.

Une citation de Francis Éloquin, pêcheur de Grande-Entrée

Francis Éloquin s’inquiète lui aussi pour l’avenir de la Pointe. On trouve ça un peu dommage, de perdre des commerces et des bâtiments qu’on est habitué de voir là depuis des décennies et des décennies, lance-t-il.

Un pêcheur devant des bateaux en cale sèche.

Le pêcheur de Grande-Entrée Francis Éloquin témoigne de l’importance du site de la Pointe de Grande-Entrée, notamment pour l’industrie des pêches. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Le port de pêche est lui aussi menacé. Lors de la tempête Fiona, les quais ont été complètement inondés par une marée anormalement élevée.

Peut-être que dans une couple d’années, si on ne fait rien pour protéger les commerces, on va avoir de la misère à avoir accès au port, déplore-t-il.

Un comité sans citoyens

Dans les derniers mois, un comité technique s’est mis en place pour réfléchir à l’avenir du site de la Pointe. Ce comité interministériel est sous la coordination du Bureau de projet en érosion et submersion côtières du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation.

Des représentants de la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine, de Pêches et Océans Canada, du ministère de la Culture et des Communications ainsi que du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques y siègent.

Les occupants du site de la Pointe sont toutefois tenus à l’écart des discussions, au grand désespoir du directeur de la Fondation Willie Déraspe, un organisme qui possède une boutique près du quai.

Il faut que le comité que les gouvernements ont mis en place vienne rencontrer la population, croit-il. Ensuite de ça, il faut s’adapter pour sauver ce qui reste et adapter les bâtiments, par exemple en les mettant sur pilotis.

La première condition que je pense que tout le monde a négligée dans le temps, c’est de protéger le site contre l’érosion.

Une citation de Robert St-Onge, directeur de la Fondation Willie Déraspe
Robert St-Onge, devant un bâtiment de La Pointe de Grande-Entrée.

Robert St-Onge est directeur de la Fondation Willie Déraspe. Cet organisme met en valeur le savoir-faire et le patrimoine immatériel des Madelinots, dans un contexte historique et actuel, afin de valoriser le mode de vie maritime. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

La Pointe, un site jugé prioritaire?

Le maire des Îles-de-la-Madeleine reconnaît l’importance historique et économique de la Pointe de Grande-Entrée, mais il ne peut actuellement confirmer que le site sera bel et bien protégé de la mer.

Il y a des discussions préliminaires qui se tiennent avec des partenaires gouvernementaux pour ce qui est de l’avenir du site de la Pointe de Grande-Entrée, mais, à ce stade-ci, on n’est pas prêt à faire des annonces ou à avoir un plan d’action très précis, indique Antonin Valiquette.

Antonin Valiquette photographié dans son bureau.

Le maire des Îles-de-la-Madeleine, Antonin Valiquette, estime que la Pointe de Grande-Entrée est un secteur névralgique, mais se refuse à confirmer qu’il sera protégé. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Antonin Valiquette rappelle que la Municipalité a déposé en septembre un cadre d’intervention en érosion et en submersion côtières afin de prioriser les sites à protéger sur son territoire, parmi 85 sites inventoriés.

Le gouvernement provincial n’a toujours pas fini d’analyser le document ; le maire refuse donc de révéler si la Pointe de Grande-Entrée est jugée prioritaire par la Municipalité.

Une chose est toutefois certaine, aux yeux de l’élu.

La Municipalité n’est pas capable de protéger à elle seule l’ensemble des sites vulnérables à l’érosion.

Une citation de Antonin Valiquette, maire des Îles-de-la-Madeleine

C’est normal, lorsqu’on perd des acquis, que l’on se sente impuissant devant les aléas de la nature en matière d’érosion et de submersion côtière, mais en même temps, il y a des enjeux de sécurité publique qu’on ne peut pas ignorer, ajoute-t-il.

En 2020, les élus madelinots ont réclamé 80 millions de dollars sur dix ans à Québec pour aider l’organisation municipale à protéger ses côtes face aux événements météorologiques extrêmes.

Trois bâtiments colorés en bardeaux.

D’autres bâtiments commerciaux se trouvent sur le site de la Pointe, plus loin de la mer. Ils ont aussi été inondés lors du passage de Fiona en 2022, mais ne font pas encore l’objet d’un avis ministériel de danger imminent de submersion. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Au ministère de la Sécurité publique, on confirme que la Municipalité n’a pas transmis de demande pour obtenir du soutien technique et financier pour le secteur de la Pointe de Grande-Entrée par le biais du Cadre pour la prévention des sinistres.

Le ministère de la Sécurité publique ne réalise pas de travaux sur le territoire des municipalités, il offre un soutien à celle-ci, notamment dans le traitement des problématiques en lien avec l’érosion et la submersion côtières, précise le relationniste Robert Maranda.

Du côté du ministère des Pêches et Océans du Canada (MPO), on indique être au fait des phénomènes de submersion sur le site de Grande-Entrée.

Lors de la conception des derniers projets majeurs réalisés aux Îles, l’équipe d’ingénierie du MPO a tenu compte du phénomène de submersion. Le Programme des ports pour petits bateaux du MPO limite cependant ses interventions à ses infrastructures portuaires, comme prévu dans sa réglementation, indique le conseiller en communications du ministère, Martin Bourget.

Se résigner ou défier la mer?

Dans leur restaurant, Hélène Cyr et de Dominique Turbide peinent à se résigner à l’idée de démolir leur restaurant.

Le bâtiment n’est plus assurable depuis des mois, mais elles tentent tout de même de sauver leur saison touristique.

On peut décider de rester ici, on a la tête assez dure et on a assez de courage pour rester ici, mais le problème, c’est les assurances. Ça a été classé « danger imminent » : on nous abandonne encore, lance Mme Cyr, la voix étranglée par l’émotion.

Des dames sur la plage regardent la mer.

Dominique Turbide et Hélène Cyr peinent à envisager de démolir leur restaurant. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Les deux copropriétaires ont jusqu’au 7 novembre pour démolir et toucher la compensation financière de Québec.

Elles envisagent tout de même de faire fi de l’avis ministériel et de rester sur la Pointe, dans l’espoir que le site soit éventuellement protégé par les autorités.

Vont-elles tenir tête à Dame Nature et au ministère de la Sécurité publique, à leurs risques et périls? Une question qui les hante, jour et nuit.

LA UNE : Les propriétaires du Pub chez Halabolina sont contraints de démolir leur bâtiment d’ici le 7 novembre, s’ils veulent toucher une compensation financière de Québec.PHOTO : Radio-Canada / Isabelle Larose

PAR Isabelle Larose


Le site de la Pointe de Grande-Entrée en danger imminent de submersion côtière

Les Madelinots lancent un cri du cœur pour cet important port de pêche de l’archipel classé par Québec comme en « danger imminent » de submersion côtière.
La journaliste Isabelle Larose qui s’est rendue sur le site de la pointe de Grande-Entrée lors de son séjour aux Îles il y a 2 semaines nous en dit plus.