Mieux comprendre la crise de la pêche au homard en Nouvelle-Écosse

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Depuis un an, le conflit sur la pêche autochtone au homard secoue la Nouvelle-Écosse. Alors que les Premières Nations revendiquent «une pêche de subsistance convenable» hors-saison, Ottawa et les pêcheurs non autochtones s’y opposent. Francopresse fait le point sur la crise, ses acteurs, leurs arguments et les pistes de solution.

Où a lieu le conflit?

Les Premières Nations au cœur du débat sont celles de Sipekne’katik, de Potlotek et d’Eskasoni, en Nouvelle-Écosse. La communauté Sipekne’katik est située dans la zone de pêche du homard 34, la plus vaste du Canada. On y compte 944 détenteurs de permis, pour 391 200 casiers.

Dans la baie Sainte-Marie, au sud-ouest de la province, on dénombre environ 160 permis de pêche non autochtones, répartis dans différents ports dont plusieurs sont acadiens. Les pêcheurs mi’kmaq de la zone 34 détiennent au total 11 bateaux de 50 casiers.

Comment cette crise s’est-elle déclenchée?

En septembre 2020, la communauté autochtone de Sipekne’katik lance une pêche au homard de subsistance dans la baie Sainte-Marie, hors de la période règlementée par le gouvernement fédéral.

Les pêcheurs non autochtones dénoncent cette activité hors saison, la considérant comme illégale et craignant une baisse des stocks. «Elle intervient à une période critique de la reproduction du crustacé, en particulier dans la baie Sainte-Marie qui est une pouponnière», rappelle Martin Mallet, directeur général de l’Union des pêcheurs des Maritimes (UPM).

Les Premières Nations se heurtent donc à une farouche opposition. Ils sont notamment victimes de gestes de violence et d’intimidation.

Ces tensions ne sont pas nouvelles selon Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue : «Ça revient de manière périodique depuis la fin des années 1990. La pêche est un enjeu très sensible en région atlantique.»

Quelle est la situation actuelle dans la baie Sainte-Marie?

«Les agents fédéraux sont particulièrement sévères, ils saisissent nos bateaux et nos casiers. Il y a beaucoup de harcèlement sur l’eau», affirme Mike Sack, chef mi’kmaq de la Première Nation de Sipekne’katik.

Le lundi 16 aout, il est lui-même arrêté sur le quai de Saulnierville par des équipes du ministère de Pêches et Océans Canada (MPO), alors que sa communauté vient de lancer sa pêche de subsistance hors des saisons commerciales.

Il est libéré peu de temps après. «Je me suis fait arrêter pour incitation à la pêche illégale», révèle le dirigeant.

Dans une réponse par courriel, le MPO évoque des infractions présumées à la Loi sur les pêches, sans donner plus de détails étant donné qu’«une enquête est en cours». Sébastien Brodeur-Girard se pose la question de la pertinence d’une telle arrestation dans «un contexte déjà tendu où il y a beaucoup d’agitation».

D’après les chiffres du MPO, depuis la fermeture de la saison commerciale le 31 mai, des opérations dans la baie Sainte-Marie ont conduit à la saisie d’environ 576 casiers, notamment pour des problèmes d’étiquetage, et à la remise à l’eau de plus de 7440 crustacés.

Plus de 20 personnes ont été arrêtées pour des infractions présumées à la Loi sur les pêches. Cette réponse demeure insuffisante pour Martin Mallet, qui appelle le ministère à agir «avec une plus grande fermeté».

Le conflit s’invite également sur la scène politique avec la défaite de la ministre sortante des Pêches, Bernadette Jordan, qui n’a pas réussi à conserver son siège de députée lors de l’élection fédérale du lundi 20 septembre.

Que dit le droit dans cette affaire?

Les communautés autochtones s’appuient sur la décision Marshall, livrée en 1999 par la Cour suprême du Canada. Dans celle-ci, l’instance suprême reconnait aux Premières Nations Mi’kmaq, Malécites et Passamaquoddy le droit de pêcher, chasser et cueillir pour s’assurer d’une «subsistance convenable et gagner leur vie modérément, et non dans le but d’accumuler de la richesse».

Cette décision sous-tend donc la possibilité pour les pêcheurs autochtones de vendre leurs prises. «L’idée est de leur permettre d’avoir une existence décente, un niveau de vie acceptable ; pas de devenir multimillionnaires», observe Sébastien Brodeur-Girard, pour qui la décision reste un «guide juridique».

«La Cour n’a pas trop voulu se mouiller ; la définition de subsistance convenable est volontairement vague, c’est ce qui est source du conflit aujourd’hui», poursuit-il.

Côté pêcheurs non autochtones, Martin Mallet de l’UPM assure être d’accord pour que les Premières Nations pêchent commercialement et améliorent leur qualité de vie, «mais à l’intérieur des saisons […] On est même prêts à leur donner plus d’accès avec des programmes de rachat de permis», ajoute-t-il.

Les Premières Nations ont-elles le droit de pêcher hors-saison?

La notion de saison n’apparaît pas dans la décision Marshall, provoquant un flou supplémentaire. Un autre arrêt, connu sous le nom de Marshall 2, clarifie ce point.

Les gouvernements fédéral et provinciaux ont la possibilité d’encadrer l’exercice du droit de pêche «lorsque de telles mesures sont justifiées pour des raisons de conservation ou pour d’autres motifs», à condition de consulter les Premières Nations.

En d’autres termes, les droits ancestraux ou issus de traités des Premières Nations ne sont pas absolus. «Des atteintes à minima sont possibles à condition qu’il y ait de très bonnes raisons et d’excellentes preuves», précise Sébastien Brodeur-Girard.

Le 3 mars dernier, le MPO a ainsi règlementé le droit des Premières Nations à une pêche de subsistance. Selon le plan proposé par Ottawa, les Autochtones doivent respecter les saisons commerciales déterminées par le ministère.

«Elles garantissent que les stocks sont exploités de façon durable, et sont nécessaires pour garantir une pêche ordonnée, prévisible, et bien gérée», défend le MPO dans une réponse par courriel. «Elles font partie de la structure de gestion générale qui atténue les pressions, en évitant les périodes importantes où le homard mue et se reproduit», peut-on encore lire.

Depuis, Mike Sack n’a de cesse de contester cet arbitrage d’Ottawa. «C’est une mauvaise décision, car notre activité ne peut pas se comparer à la pêche commerciale. La taille de nos bateaux, le nombre de nos pièges, nos quantités de prises n’ont rien à voir. Nous n’essayons pas de reproduire ce qu’ils font», partage le chef mi’kmaq.

De son côté, Sébastien Brodeur-Girard doute de la légalité de la décision fédérale, au regard de l’arrêt Marshall 2 : «Les objectifs de conservation sont louables, mais pour imposer ces saisons, Ottawa aurait dû consulter les Autochtones le plus en amont possible et tout au long du processus de décision afin d’obtenir leur consentement préalable», analyse-t-il.

Mike Sack confie qu’il ne veut cependant pas se lancer dans une nouvelle bataille judiciaire.

Comment le conflit peut-il se résoudre?

Si Martin Mallet appelle à des négociations triparties entre pêcheurs, gouvernement et Premières Nations, Mike Sack n’en voit pas l’utilité. À ses yeux, le conflit est «facile à résoudre»: «Il suffit que les autorités honorent les traités comme elles le devraient, et nous laissent règlementer notre activité.»

Sébastien Brodeur-Girard voit d’un bon œil la mise en place de pêcherie gérée et contrôlée par les Premières Nations. «Il faut leur faire confiance pour développer le secteur avec leurs propres règles. Ils n’ont aucun intérêt à faire disparaitre la ressource», commente-t-il.

Mais l’expert prévient qu’avant de négocier une entente, l’urgence est d’apaiser les tensions en éduquant la population à ces enjeux : «L’hostilité de certains pêcheurs est compréhensible, mais ils doivent néanmoins comprendre que ce sont des droits ancestraux, et non des privilèges.»

Par Francopresse