Sans glace, où les phoques du Groenland donnent-ils naissance cet hiver?

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Pêches et Océans peine actuellement à savoir où les phoques du Groenland se réfugient pour mettre bas, considérant l’absence de glaces solides dans le golfe du Saint-Laurent et près des côtes de Terre-Neuve.

La semaine dernière, une équipe de l’Institut Maurice-Lamontagne a survolé durant deux jours les environs de l’Île-du-Prince-Édouard, des îles de la Madeleine et la baie des Chaleurs.

Ils n’ont décelé aucun signe de mise bas dans le sud du golfe, même aux rares endroits où la glace s’était formée.

Ce qu’on a vu, ce sont des glaces qui étaient de très mauvaise qualité, parfois on a vu des glaces où il aurait pu y avoir des naissances, mais on n’a vu aucun signe de naissances cette année durant nos deux vols, affirme la biologiste spécialisée en dynamique des populations de mammifères marins à l’Institut Maurice-Lamontagne, Joanie Van de Walle.

On a vu un peu de phoques du Groenland, mais c’étaient toujours des individus qui étaient seuls sur la glace, on n’a vu aucune femelle avec un jeune.

Une citation de Joanie Van de Walle, biologiste de Pêches et Océans Canada
Une dame regarde par la fenêtre d'un hélicoptère où l'on voit un plan d'eau partiellement gelé.

Le 27 février et le 2 mars, une équipe de l’Institut Maurice-Lamontagne a survolé le sud du golfe du Saint-Laurent en hélicoptère, mais aucun signe de mise bas n’a été observé. PHOTO : GRACIEUSETÉ DE JOANIE VAN DE WALLE

Bien que la scientifique admette qu’il soit possible que son équipe ait loupé l’observation de certaines mises bas en raison du temps de vol limité et de l’impossibilité de ratisser l’ensemble du golfe, elle croit qu’il est plus plausible que les mouvées de phoques se trouvent plus au nord.

Lors des hivers de très mauvaises glaces, les phoques du Groenland iraient mettre bas ailleurs, plus au nord, là où les conditions de glace sont meilleures, note-t-elle. Par contre, cette année, les conditions de glace ne sont pas très bonnes non plus dans le nord du golfe, au large de Terre-Neuve.

Une carte montre que la majeure partie du golfe est libre de glace.

Les eaux du golfe du Saint-Laurent sont actuellement libres, alors qu’historiquement, une banquise s’y formait. PHOTO : ENVIRONNEMENT ET CHANGEMENT CLIMATIQUE CANADA

D’autres équipes de Pêches et Océans devraient procéder à des survols la semaine prochaine pour tenter de repérer les phoques au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador. Traditionnellement, les mises bas y ont lieu deux semaines plus tard que celles qui se déroulent dans le sud du golfe.

Toutefois, les observations pourraient être ardues si les glaces propices à la mise bas sont trop éloignées des côtes, car les aéronefs utilisés pour ces vols à basse altitude ont une quantité de carburant limitée.

Ils pourraient être très limités dans leur capacité d’aller les voir, note Joanie Van de Walle. Les phoques vont peut-être se trouver au-delà de la limite où ils peuvent faire des observations.

Photo aérienne de phoques sur une banquise.

Dans le passé, des milliers de phoques du Groenland se massaient sur la banquise entourant les îles de la Madeleine pour donner naissance, comme ici, en mars 2022. PHOTO : PÊCHES ET OCÉANS CANADA

Mortalité massive?

Selon la biologiste Joanie Van de Walle, une mortalité massive des blanchons a déjà été observée lorsque les conditions de glace étaient mauvaises, notamment en 2010.

Lorsqu’il y a des tempêtes, que l’eau se réchauffe et que la glace fond, les jeunes peuvent se noyer et ça résulte en une mortalité massive, indique-t-elle.

Deux phoques vus de haut, avec un brèche dans la banquise.

La faible couverture de glace solide favorise une mortalité élevée des jeunes phoques. (Photo d’archives) PHOTO : TOURISME ÎLES DE LA MADELEINE

En l’absence de glaces, est-ce que les femelles pourraient même être contraintes de mettre bas dans l’eau, causant la mort immédiate de leur rejeton qui ne peut nager dès la naissance?

La biologiste ne peut répondre à cette question avec certitude.

On ne sait pas vraiment ce que les femelles font, admet Mme Van de Walle. Peut-être que cet été, on va observer des blanchons qui vont s’échouer sur les berges dans le sud du golfe, ça pourrait nous donner une indication qu’il y a eu quelques naissances cette année quand même, mais c’est plus probable, selon nous, que [les mères] soient montées au nord pour aller chercher des conditions de glace meilleures pour donner naissance.

Les phoques du Groenland pourraient-ils donner naissance sur la terre ferme?

Le directeur de l’Association des chasseurs de phoque intra-Québec, Gil Thériault, est d’avis que le phoque du Groenland pourrait s’adapter à l’absence de glace et aux changements climatiques.

Selon moi, c’est assez clair que le phoque du Groenland va s’adapter assez rapidement, croit-il. Il va rester dans le nord plutôt que de venir dans le golfe et si les glaces ne sont même pas assez suffisantes là, il va se mettre à mettre bas sur les berges assez rapidement comme son cousin le phoque gris l’a appris très rapidement.

Cette hypothèse n’est toutefois pas confirmée par des observations scientifiques.

Pour l’instant, on n’a jamais fait d’observation de mise bas de phoque du Groenland sur le terre ferme, indique Joanie Van de Walle.

Cinq phoques se prélassent au soleil sur une plage.

Selon les données de Pêches et Océans Canada, jusqu’en 2004, 85% des phoques gris donnaient naissance sur la glace. Depuis, ce nombre a chuté à moins de 5%. Ils utilisent plutôt les berges d’îles isolées, dont l’île Brion, comme site de reproduction. (Photo d’archives) PHOTO : CBC / ROBERT SHORT

La biologiste précise que tout le cycle de vie du phoque du Groenland est intimement lié à la présence de glace, contrairement à celui du phoque gris. Ce dernier passe l’année entière dans le golfe du Saint-Laurent, alors que le phoque du Groenland, comme son nom l’indique, passe la majeure partie de l’année au large des côtes du Groenland, dans la baie de Baffin ou le détroit de Davis, et descend dans le golfe l’hiver venu.

Fin d’une époque pour les chasseurs

Pour le directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec, les conditions qui prévalent actuellement renforcent l’idée que la chasse annuelle au phoque du Groenland au large des îles de la Madeleine est chose du passé.

À partir de maintenant, la chasse au phoque du Groenland, ça va plutôt être anecdotique.

Une citation de Gil Thériault, directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec

Selon M. Thériault, les dernières excursions d’importance de chasse au phoque du Groenland sur la banquise, autour de l’archipel, remontent à 2008.

Un chasseur sur la banquise empile des peaux de phoques.

Les Madelinots chassaient traditionnellement le phoque du Groenland sur la banquise. Depuis quelques années, les chasseurs se rabattent sur le phoque gris, sur la terre ferme. (Photo d’archives) PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE

Il croit tout de même que l’activité traditionnelle, qui a permis aux insulaires de survivre durant des décennies, pourra se pratiquer sporadiquement.

Peut-être une année sur cinq, une année sur huit, à condition que le phoque du Groenland ne perde pas complètement l’habitude de venir dans le golfe, ce qui est possible aussi, souligne-t-il. C’est à voir, ce n’est pas facile de faire des prédictions. On sait que la nature change rapidement et énormément.

Gil Thériault ne croit pas que l’absence de glaces soit une menace pour le phoque du Groenland, dont le nombre d’individus est estimé à 4,7 millions d’individus dans l’Atlantique Nord-Ouest.

Je n’ai pas vraiment de craintes pour la survie du phoque, c’est un animal qui est très intelligent, très adaptable, croit M. Thériault.

Portrait.

Gil Thériault, directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Par ailleurs, l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec demande à Ottawa de mettre à jour la règlementation entourant la chasse.

Selon Gil Thériault, cette législation n’est plus à jour, car elle a été conçue pour la chasse au phoque du Groenland, sur la banquise, alors que c’est dorénavant le phoque gris qui est le plus chassé dans le golfe, directement sur la terre ferme.

Il y a une résistance de Pêches et Océans pour réviser les règlements, mais il faut absolument le faire parce que là, on est complètement à côté de latrackavec le phoque gris, déplore-t-il. Le phoque gris est là à l’année, donc on peut le chasser presque annuellement.

LA UNE : Le phoque du Groenland a besoin de la banquise pour se reproduire. Elle sert d’aire de mise bas et les jeunes phoques y demeurent quelques semaines après leur sevrage. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / SCREEN GRAB