Georges Langford : Territoire intemporel

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Découvrez le portrait fascinant de Georges Langford, une figure emblématique de la scène musicale et littéraire des Îles-de-la-Madeleine. Georges Langford a marqué son époque par sa poésie, par sa musique et par son engagement. De ses débuts modestes à sa consécration sur les scènes nationales et internationales, suivez le parcours inspirant de cet artiste incontournable. Plongez dans l’univers captivant d’un homme dont les mots résonnent encore aujourd’hui, traversant les générations avec une force intemporelle.

© Julie D’Amour-Léger

Georges Langford, à-René-à-Félix (à-Dan-à-William-à-Dan, pour les amateurs de longues branches d’arbres généalogiques) est né à l’époque où les harmoniums ne s’étaient pas encore transformés en piano usuel dans les chaumières. La guitare non plus n’était pas tout à fait encore à portée de main; c’était avec le violon qu’on faisait le tour des maisons. La musique qu’on entend à l’époque sortait, la plupart du temps, tout droit de cantiques d’église, en chaire et en noces, ou sur les ondes radio captables selon l’orientation et la force du vent. Les lectures se faisaient à genoux devant le missel, assis avec le Reader’s Digest, ou au mieux, debout avec l’Almanach du peuple.

Georges Langford est né à Pictou, en Nouvelle-Écosse. Régina Richard s’y était rendue des Îles-de-la-Madeleine pour rejoindre René Langford, son mari marin à bord du Lovat, traversier en eaux libres entre les Îles et Pictou. À l’hiver 1948, le navire avait été envoyé avec son équipage pour faire la chasse au phoque du Groenland et resta pris dans les glaces jusqu’en mai. Évènement coutumier à l’époque où les hivers étaient propices au patinage en plein air et aux traversées de carrioles attelées aux chevaux. Georges est né quelques jours avant l’accostage du Lovat, comme pour le voir arriver et apprivoiser l’insularité.

 

© Discogs

Aîné de neuf petits blonds aux yeux bleus installés sur le chemin Langford, Havre-aux-Maisons, il part vers l’université Sacré-Coeur à Bathurst à l’adolescence, établissement affilié à l’Université de Moncton fondé par les pères Eudistes au Nouveau-Brunswick, où il plonge avec bonheur dans la culture, davantage accessible et élargie. Bibliothèques, pièces de théâtre, spectacles : il écoute avec cœur et tous ses sens Gilles Vigneault, Nana Mouskouri, Jean-Pierre Ferland, Gilbert Bécaud. Il ébauche ses premiers poèmes, en publie quelques-uns dans le journal scolaire, interprète officiellement de premiers chants dans la chorale du collège et aime à entendre l’ensemble musical Les copains et la fanfare du collège. Il est assez tôt remarqué par ses collègues de classe et professeurs; on l’invite fréquemment à faire des prestations musicales et à s’impliquer dans ce monde culturel qui bourgeonne. L’Acadie se découvre des porte-paroles à travers ses artistes, son histoire se fait entendre.

Les premiers cachets issus de parutions, sur papier et sur scène, sont investis dans une guitare qu’il apprivoise avec du Félix Leclerc, du Gilles Vigneault, à l’oreille et aux doigts, un peu à l’oeil. Il a 17 ans, et ça ne l’empêche pas d’écrire sa première chanson, chargée et mature, Le voyage, devenue depuis, l’hymne cérémonial de l’ultime voyage sur terre pour nombre de Madelinots. Douceur pour mieux supporter un passage obligé.

 

L’artiste fait partie de ceux qui feront vivre les boîtes à chansons, dès les premières saisons de plusieurs années à travers le Québec et l’Acadie : dans les Laurentides, à Shippagan, à Moncton, à Québec, à Montréal. Il en initie quelques-unes dans l’archipel avec d’autres aux cheveux longs: l’Astrid, La Gabarre, Le Vieux Quai. À l’époque on s’illumine à la chandelle encastrée dans une bouteille de vin qu’on aura honorée, bien sûr. C’est l’époque où les paroles de chansons parlent d’identité, de fierté, de nous. D’amours et de chagrins aussi, sujets intemporels. La lumière jaillit tranquillement d’une période politique obscure, où l’église a main mise sur la vie des Québécois en général.
Phare
Déjà en tout début de carrière, il était chanté par d’autres. Les archives de 1972 s’en rappellent. « Les bohémiennes, chorale-chansonnier à l’auditorium de la Polyvalente de Lavernière, vendredi et samedi soirs prochains, les 7 et 8 juillet à 9 h, sous la direction de François Provencher. Elles interprètent les chansons de nos meilleurs chansonniers tels que Moustaki, Bécaud, Ferland, Langford, et plusieurs autres.  Admission : 1,50 $ .» Sur la même page publicitaire, on annonce que le chanté chantera la semaine suivante à la salle Plaisance de Havre-aux-Maisons. Évitons de se compétitionner soi-même après tout!
Une critique du journal Le Radar de ces mêmes années dit de ses chansons qu’elles sont à la fois polissonnerie d’un Brassens et poésie d’un Vigneault. « Tout comme leur auteur, elles sont faites de force explosive et de tendresse inavouée. » Il fait la première partie de Louise Forestier. La Presse rapporte que ce grand gaillard timide au milieu de la vaste scène est difficilement résistible de par son naturel, son discours drôle et gentil qui fait la pause entre ses jolies chansons. On y entend particulièrement les morceaux de son premier long jeu de 1973 Arrangez-vous pour qu’il fasse beau : Le 15 de mai, La Coupe Stanley et sa version de Gabriel et Évangéline. Jos Misère, Derrière et les très populaires Thunder Bay et Le frigidaire. La table est mise: au menu, quotidien, amours et désillusion, dune et béton. Le cowboy dans la lune vient d’allumer tout un feu de camp.

 

Il publie le recueil éponyme à la même époque, aux Éditions québécoises.

 

En 1975, l’album Acadiana voit le jour avec des titres comme Du fond du Bassin, Le chant du tracteur, La complainte des Lebel. À l’écoute apparaissent une mer plus calme qu’hier, des pissenlits qui emmitoufflent la grange, un chemin invite au continent. Puis le vent siffle du nord, une tragédie glaciale nous submerge. Les saisons légères, les saisons lourdes.

 

Deux ans plus tard sort Bluenose avec Le voyageur et son étoile, Marins de Normandie, Arrivé dans la ville. L’année suivante, en 1978, est déjà lancé Le Chemin des trois maisons avec notamment la chanson Le reel de l’animation, critique de société sur un air à la steppette joyeuse, Le vieux Philippe, le faux pays et son savoir dans le fond de l’armoire.

 

En 1985, l’auteur sort un nouveau recueil où s’entremêlent la poésie, le conte et le merveilleux chez Leméac, L’Anse-aux-Demoiselles. Le premier voyageur, poèmes et chansons, est publié en 1992 avec l’Hexagone.

 

Il faudra attendre 32 ans après son dernier opus édité, en 2003, pour découvrir Il n’y a qu’une histoire où on entend 48 degrés et des étoiles, Haro sur l’étrangère, L’hiver en personne. Ses deux premiers albums seront remasterisés et convertis en cd au fil des années. Déjà en 1976 et 1979 étaient lancés des albums souvenirs et collections de ses plus grands succès chez Gamma.

 

Un point sur la mer, chez La morue verte, regroupe ses plus récents écrits en 2016.

 

Les étoiles

 

• En 1975, il est récipiendaire  d’un prix dans le cadre du Festival de Spa, en Belgique, avec sa chanson Acadiana.

 

• Il est honoré en 1992 pour son œuvre littéraire Le premier voyageur œuvre par le prix Jovette-Bernier, au salon du livre de Rimouski.

 

• En 1994, il reçoit le prix Les classiques de la SOCAN.

 

• Son oeuvre est célébrée en Roumanie en 2001, confirmée par la réception du Grand prix international de poésie Ronald Gasparic.

 

• Sa chanson Le frigidaire, en référence à la froideur de la métropole, est popularisée par Tex Lecor et traduite en plusieurs langues. Elle est classée en 2007 au Panthéon des auteurs-compositeurs canadiens. Georges Langford s’amuse lui aussi à la chanter dans son « italien personnel » lors de spectacles.

 

• L’année 2010 est la consécration par le Conseil des arts et des lettres du Québec avec le prix à la création artistique des Îles- de-la-Madeleine.

 

• Il reçoit la Médaille Léger-Comeau, haute distinction décernée par la Société nationale de l’Acadie en 2015, soulignant sa contribution à l’avancement de l’Acadie.

 

• En 2021, la Médaille de l’Assemblée nationale lui est décernée par le député, un honneur remis aux personnes qui se sont particulièrement impliquées ou ayant su faire rayonner leur milieu.

 

Les satellites

 

Georges Langford collabore également à plusieurs œuvres et projets d’envergure durant sa carrière. Parmi ceux-ci, il tient le rôle principal dans le long métrage collectif, hybride entre une enquête sociologique/reportage ficelé par un scénario, La noce est pas finie, en 1969, qui témoigne d’une communauté bourrée de préjugés, bousculée dans son conformisme.

 

© ONF-NFB – Office National du Film du Canada/National Film Board of Canada
Ti-Cul Tougas (1976). Georges Langford et Claude Maher. IMDB.

Il en crée également la trame sonore. Quelques années plus tard, il compose la musique du film Ti-cul Tougas, tourné aux Îles et qui remporte un prix décerné par l’Association québécoise des critiques de cinéma en 1976.

En 1981, il est le tout premier directeur de la programmation de la radio locale qui prend forme, dont il animera et coanimera plusieurs émissions et chroniques au fil des ans.

 

En 1996, il fait partie de la distribution d’un album double souvenir, La mémoire des boîtes à chansons. En 2004, il participe à nouveau à un album double intitulé L’Acadie en chanson, produit par le Festival Acadien de Caraquet.

 

L’album illustré Ici le Rocher-aux-Oiseaux, chez La morue verte en 2010, suit un chroniqueur radio-canadien à la découverte du tristement célèbre phare et son ile, pourtant planté sur ce petit bout rocailleux pour éviter les écueils aux navires, mais porteur de moult drames à terre.

 

Le spectacle hommage Georges, À travers le hublot, titre clin d’œil aux paroles du refrain de sa toute première chanson, met en scène sept artistes madelinots aux horizons variés, qui ont été bercés et inspirés par l’artiste dont le travail marque les générations depuis plus de 50 ans. « Qu’on soit Madelinots ou Acadiens, ces chansons-là nous rappelleront d’où est-ce qu’on vient » chante le collectif, sur l’air de la populaire chanson Le frigidaire. Les arrangements musicaux donnent des airs nouveaux aux mots par cœur; la mise en scène, incluant des projections, illustre de belle façon le répertoire. Beaucoup de tendresse et d’humour en émane, à l’image du musicien. Lancé en 2021, il a été présenté sur quelques scènes et à plusieurs reprises dans l’archipel, à la Franco Fête en Acadie et s’est poursuivi l’année suivante, notamment chez nos voisins, au 60e Festival Acadien de Caraquet.

 

Navigateur sur terre

 

Quand il voit passer un mot inspirant, une phrase clé dans le flot de ses idées, l’auteur sort le filet et la saisit, puis la fait sécher sur un papier. Parfois ses captures deviennent haiku, chanson, poème ou mûrissent dans un tiroir. Elles seront peut-être à point plus tard. Certaines doivent être attendries, ont la couenne dure. Il cherche encore la bonne méthode, il travaille toujours sur ses outils. Ce type de pêche n’a pas de saison:
 à l’aube, pendant le grésil, elle vit de pluie et de beau temps, de café, de patin, d’étoiles et d’amitié. Métier de chacun des jours, le travailleur aspire à habiter poétiquement le monde.

 

Pour une énième fois, l’artiste presque en résidence du Vieux Treuil, salle de spectacles quarantenaire dont il est d’ailleurs l’un des premiers artistes à user les planches, s’assoit humblement sur un tabouret dans une lumière feutrée. Derrières ses oreilles, ses cheveux blond pâle en réverbère. La guitare à la main, il propose ses nouveautés. Tout en confortant sa fidèle chorale qui s’harmonise à tout coup dans les envolées d’un 48 degrés et des étoiles, fait écho Derrière, il étend ses coordonnées géographiques, mais on ne s’y perd pas. Il tient la boussole.

 

Pour habiter totalement une ile, il faut savoir la quitter. Il nous accompagne dans une
« escapade » épicée autour du monde avec la Chanson de Magellan, on se questionne sur les valeurs et l’éphémère Au sommet des pyramides, on traverse des changements climatiques dans La Nouvelle Norvège et on revient en mer connue, qui raconte le chemin de ses glaces, dans l’hiver Bleu marin.
Depuis plusieurs années, il navigue avec aise sur les réseaux sociaux où il n’hésite pas à publier des réflexions à propos d’actualité, de politique, de ponctuation comme d’un pays de vents dominants.

 

« Depuis tous les siècles, l’eau coule à travers le monde, en le refaisant. » 

 

« S’il y a de l’érosion? Le bord du cap est rendu dans le milieu du chemin. »

 

« La machine à voyager le temps, c’est nous, et c’est beaucoup d’entretien. »

 

Efficaces, ses mots visent toujours juste.

 

Accostage

 

« Certains ont eu une enfance très courte. Un marin des bancs de Terre-Neuve raconte qu’il a commencé à pêcher à 9 ans. »
G. Langford – Radio-Morue

 

Georges Langford s’intéresse aux vies de morue et à sa pêche, passée d’industrielle à accidentelle en quelques décennies. Avec Radio-Morue, prestation portative qu’il dépose grâce au Réseau biblio, notamment jusqu’à Terre-Neuve, il lit les auteurs classiques qui ont écrit sur le sujet. L’anthropologue amateur raconte le poste émetteur installé sur un navire-hôpital qui, de 1937 à 1939, diffusait les nouvelles de la France et de la pêche dans l’Atlantique Nord. Il interprète aussi quelques-unes des chansons diffusées en ondes pour remonter le moral des Terre-Neuvas.

 

Tout en poursuivant ses spectacles et ses collaborations avec les nouvelles générations, Georges Langford demeure toujours à l’affût; l’écriture générale ou pointue ne cesse jamais, le moteur ronronne en continu. Des notes et cahiers, nourriture à recueils et à chansons, sont toujours à portée de main, dans un bagage dont le voyage se rend aussi loin dans un Café des tempêtes qu’Au sommet des pyramides.

 

PAR Adèle Arseneau
LA UNE : © Acadie Nouvelle